L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Lost in Math.
How Beauty Leads Physics Astray,
de Sabine Hossenfelder,
Basic Books, 2018.

Les physiciens parlent souvent de la beauté de leurs théories, du moins de certaines d’entre elles. Beaucoup estiment même que le souci esthétique est ce qui leur permet de trouver les meilleures théories pour décrire la réalité. Mais ce n’est pas l’avis de Sabine Hossenfelder. Pour cette physicienne du Frankfurt Institute for Advanced Studies (Allemagne), ses collègues seraient en effet en train de s’égarer à force de se focaliser sur cette beauté des théories. Pour justifier sa critique, elle part des impasses de la physique actuelle.

Par exemple, elle rappelle comment l’obsession de la symétrie conduit beaucoup de physiciens des hautes énergies à jeter leur dévolu sur la théorie de la supersymétrie, où chaque particule connue est associée à une « superpartenaire ». Le problème est que l’on n’a jamais détecté ces nouvelles particules et que les physiciens, pour expliquer leur échec, ne cessent de reculer le seuil d’énergie à partir duquel elles seraient détectables. L’auteure s’interroge également sur le bien-fondé de l’attitude des spécialistes de la théorie des cordes, qui postulent l’existence d’une multitude d’univers pour que l’incapacité de leur théorie à retrouver les paramètres de la physique de notre univers ne ruine pas leur espoir d’unification des interactions fondamantales. Elle s’étonne aussi du crédit que les cosmologistes accordent à la théorie de l’inflation, qui est un processus à même de générer en permanence des univers distincts du nôtre, mais dont la source n’a jamais été observée. Tout cela parce que, « sur le papier », cette théorie élimine des problèmes esthétiques du modèle du big bang. Et ainsi de suite.

Certes, dans le meilleur des cas, les théories inventées par les physiciens sont potentiellement réfutables. Pour autant, est-ce la plus belle qui a davantage de chance d’être vraie ? Hossenfelder trouve cette idée problématique puisque, comme elle le souligne, les critères de beauté des théories changent au cours de l’histoire. Même si une recherche de beauté a parfois été fructueuse dans le passé, persister dans la même démarche empêche donc de s’ouvrir à de nouvelles perspectives. Sans surprise, Hossenfelder ne propose aucune théorie nouvelle pour sortir des impasses de la physique. Mais, en donnant un coup de canif dans la sacralisation de la beauté des théories, elle espère donner à d’autres l’envie de s’aventurer vers de nouvelles voies théoriques…

Thomas Lepeltier,
La Recherche, 536, juin 2018.


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