L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
How to Hide an Empire.
A Short History of the Greater United States,
de Daniel Immerwahr,
Vintage, 2019.

Les États-Unis aiment se présenter comme un ensemble d’États contigus et librement associés. Les cartes du pays oublient d’ailleurs souvent de figurer l’Alaska et Hawaï, sans parler des nombreux territoires d’outre-mer qui, au milieu de XXe siècle, abritaient 135 millions de personnes et constituaient une superficie équivalente à près d’un cinquième de son territoire. La raison est que les États-Unis ne se voient pas comme un Empire. Pourtant, comme le raconte dans ce livre très éclairant Daniel Immerwahr, une velléité expansionniste traverse toute leur histoire. Pour en exposer l’articulation, cet historien la divise en trois grandes phases. La première est celle de la conquête de l’Ouest qui se réalise avec l’expulsion et le massacre des Amérindiens.

La deuxième phase commence au milieu du XIXe siècle avec l’annexion de petites îles des Caraïbes et du Pacifique contenant des gisements de guano. Cet excrément d’oiseaux riches en azote fut très utile pour remédier à l’épuisement des terres agricoles des États-Unis en voie d’industrialisation rapide. La dynamique expansionniste est quand même freinée par un racisme foncier. Les États-Unis veulent des territoires, mais pas les peuples qui y vivent. L’anti-impérialisme le plus fort provient d’ailleurs de suprémacistes blancs qui ne veulent pas laisser entrer dans l’Union des populations qui ne sont pas de « race caucasienne ». C’est ainsi uniquement parce qu’elles sont peu peuplés que les États-Unis annexent les régions les plus septentrionales du Mexique (dont la Californie) après avoir défait militairement ce pays en 1848. De la même manière, l’achat de l’Alaska aux Russes en 1867 n’est accepté que parce que très peu d’Esquimaux y résident. En 1898, cet expansionnisme culmine toutefois, après une guerre victorieuse contre l’Espagne, par l’acquisition de territoires très peuplés (Porto Rico et les Philippines). Mais sans considération pour les populations locales, les États-Unis y commettent maintes atrocités.

La troisième phase commence après la Seconde Guerre mondiale. Dans le mouvement global de décolonisation, l’Alaska et Hawaï deviennent des États de l’Union, Porto Rico acquiert une semi autonomie et les Philippines accèdent à l’indépendance. Pour autant, les États-Unis ne renoncent pas à leur expansionnisme, mais ils recherchent désormais une « domination sans annexion ». Elle sera fondée sur la technologie, la suprématie linguistique et une présence militaire accrue aux quatre coins du globe. Les innovations technologiques permettent en effet de dissocier la puissance de l’occupation territoriale en facilitant les communications et les transports de marchandises ou de troupes, presque comme si tous les territoires étaient occupés. La fabrication de matières synthétiques (notamment le caoutchouc) rend aussi moins important d’avoir accès aux territoires où on les trouve sous forme naturelle. La grande exception reste le pétrole qui oblige les États-Unis à contrôler de près leurs sources d’approvisionnement. Dans ce contexte, l’Empire américain ne disparaît pas. Les États-Unis installent un réseau de bases militaires à travers le monde et deviennent ce que l’auteur appelle un « Empire pointilliste » : des parcelles de terre dispersées dans le monde leur servant d’éléments de pression diplomatiques, de points de ravitaillement, de centres de détention, etc. Les États-Unis possèdent ainsi 800 bases militaires outre-mer (pour comparaison, la Russie n’en a que neuf). Ce n’est pas anodin pour un pays qui continue à ne pas se voir comme un Empire…

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 325, mai 2020.


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