L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
jacquet-is-shame-necessary
Compte rendu du livre :
 
Is Shame Necessary ?
New Uses for an Old Tool,
de Jennifer Jacquet,
Allen Lane, 2015.

La consommation éthique ne sauvera ni la planète de la pollution, ni les animaux des élevages industriels, ni les travailleurs des patrons sans vergogne. Pour combattre ces fléaux, le temps est venu de faire honte à tous ceux qui polluent, exploitent et abusent le monde qui les entoure. Telle est la thèse très politique de Jennifer Jacquet, professeure en science de l’environnement à l’Université de New York. Si elle adopte une position aussi engagée, c’est qu’elle est arrivée à la conclusion que, en jouant uniquement sur la culpabilité des consommateurs, il est impossible de transformer en profondeur les modes de production répréhensibles. Ceux qui se sentent concernés par la pollution galopante de la planète, par les conditions de travail dans certaines usines ou ateliers clandestins, et par la déplorable situation de la plupart des animaux de rente, ont bien sûr raison de considérer qu’ils ne sont pas des spectateurs innocents : par leur consommation, ils font partie du problème ou de la solution. Pour apaiser leur culpabilité, ils ont aussi raison d’adopter un mode de vie moins énergivore et d’acheter des produits recyclables, sans trop d’emballage, provenant du commerce équitable, etc. Mais l’auteure constate que, en dépit de très nombreuses campagnes de sensibilisation, ces acheteurs demeurent très minoritaires. Du coup, il n’y a qu’une petite partie des industries décriées qui s’adapte à la demande de ces consommateurs éthiques. Le reste peut continuer à polluer à tout va, à abuser ses employés et à maltraiter les animaux, pour fournir toujours plus de produits à bas prix à des consommateurs qu’aucun sentiment de culpabilité n’effleure. En somme, la consommation éthique, bonne en soi et à encourager, n’a pas d’incidence globale, ou très peu.

C’est la raison pour laquelle Jacquet recommande de pointer davantage du doigt la responsabilité des entreprises, des institutions, des parties politiques, etc., et d’aller jusqu’à susciter des réprobations générales à leur encontre. Cette stratégie pourrait sembler dépassée. Il y a en effet belle lurette que l’on ne cloue plus au pilori les criminels et les auteurs de larcins divers. Mais si, pour Jacquet, il n’est pas question d’utiliser les méthodes d’antan, il est tout à fait envisageable d’employer des procédés modernes pour couvrir d’opprobre ceux qui détruisent la planète, maltraitent les animaux et abusent leurs employés. Surtout, s’appuyant sur des études anthropologiques concernant la place relative de la culpabilité et de la honte dans diverses sociétés, et revenant sur beaucoup de campagnes contre la pollution, la maltraitance ou l’injustice, elle montre que cette stratégie est bien plus efficace pour opérer des transformations en profondeur. En ne jouant que la carte de la culpabilité, l’amélioration du monde dépend en effet trop du bon vouloir de chacun qui, comme on le sait, n’est pas sans faiblesse. Qui plus est, étant un sentiment qui demande une conscience individuelle, la culpabilité ne peut toucher une entreprise, un secteur industriel ou un État. En revanche, la mauvaise publicité frappe de plein fouet les entreprises, les responsables politiques et les institutions qui contreviennent aux règles élémentaires de l’éthique. Leur changement de comportement se fait donc rarement attendre. Bref, pour améliorer le monde, il faudrait davantage crier haro sur ceux qui orchestrent la misère du monde et exposer, sans les édulcorer, leurs méfaits. Ce qui reviendrait à passer d’une culture de la culpabilité à une culture de l’opprobre. Avis à tous les militants…

Thomas Lepeltier, décembre 2015.


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Autre livre à signaler :

— Jon Ronson, So You’ve Been Publicly Shamed, Picador, 2015.