L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
johannsen-wild-animal-ethics
Compte rendu du livre :
 
Wild Animal Ethics.
The Moral and Political Problem of Wild Animal Suffering,
de Kyle Johannsen,
Routledge, 2020.

Tout le monde sait que les animaux sauvages vivent dans un environnement à la fois rude et cruel. En même temps, l’idée dominante est que, globalement, ils peuvent quand même s’y épanouir, quand les humains ne viennent pas perturber leur espace de vie. Mais, pour le philosophe Kyle Johannsen, cette vision serait erronée. Il en prend pour preuve le fait que ces animaux souffrent régulièrement de faim, de soif, de froid, de chaud, de parasites, de maladies, de blessures, quand ils ne se font pas dévorer vivants. Cette souffrance est d’ailleurs tellement omniprésente, intense et récurrente que la quasi-totalité des animaux sauvages meurent avant d’avoir pu se reproduire. On peut donc se demander si, pour beaucoup, leur vie mérite d’être vécue. Dans ces conditions, n’avons-nous pas l’obligation de leur venir en aide, comme nous l’aurions envers des humains et des animaux de compagnie ? La question peut surprendre, mais elle est de plus en plus débattue chez les défenseurs des animaux.

À cette idée, il existe quatre grandes objections. Nous n’aurions pas à nous soucier des animaux sauvages car nous n’entretenons pas de relation particulière avec eux ; nous ne sommes pas responsables de leur situation ; ils sont les plus compétents pour gérer au mieux leur vie ; et, enfin, une intervention massive pour leur venir en aide risque de plus détériorer leur situation que de l’améliorer. Mais, pour Johannsen, ces objections ne sont pas valables. S’il est évident que nous avons des devoirs particuliers envers nos proches, cela ne signifie pas que nous n’avons aucun devoir d’assistance envers des inconnues en difficulté. Pourquoi en serait-il différemment avec les animaux ? Pour une raison similaire, l’argument de l’absence de responsabilité n’a pas plus de force, dans la mesure où, par exemple, ce n’est pas parce que des humains sont victimes de phénomènes naturels que nous n’avons pas à les aider. Quant à l’idée que les animaux sauvages ont les moyens de régler eux-mêmes leurs affaires, elle est démentie par l’ampleur de leurs souffrances. Enfin, le risque de faire du mal en voulant faire du bien est réel, mais n’implique qu’un devoir de précaution sans délégitimer le devoir d’intervention.

Reste à savoir que faire concrètement. Certains ont imaginé mettre en place des barrières pour séparer les proies de leurs prédateurs, nourrir ces derniers de viandes végétales, utiliser des méthodes contraceptives pour limiter la prolifération des proies, venir assister directement les animaux en souffrance, etc. Mais, pour Johannsen, ces interventions sont beaucoup trop compliquées à mettre en œuvre et sans fin. À la place, il estime plus efficace de manipuler génétiquement certaines espèces d’animaux afin, par exemple, de faire disparaître des parasites ; de modifier le régime alimentaire des prédateurs ; de diminuer le taux de reproduction de certaines espèces ; et de diminuer la capacité de souffrir de certains animaux sans supprimer la sensation utile de douleur. Ces suggestions semblent relever de la science-fiction, voire du délire. Mais des manipulations de ce genre existent déjà. Par exemple, des généticiens cherchent actuellement à rendre les vaches résistantes à la tuberculose bovine et à faire disparaître des espèces entières de moustiques. Puis, avec les progrès de la génétique, tout indique que ces manipulations vont rapidement se développer. Pourquoi donc ne pas les mettre au service des animaux sauvages ? Quoi qu’on en pense, la question va se poser de plus en plus dans les décennies à venir…

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 338, juillet 2021.


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