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Compte rendu du livre :

Évolution et liberté,

de Hans Jonas,

Traduit de l'allemand et présenté par Sabine Cornille et Philippe Ivernel,
Payot & Rivages (Bibliothèque Rivages), 2000.

      Le philosophe allemand Hans Jonas (1903-1993) est surtout connu pour son ouvrage, Le principe responsabilité (1979, trad. française 1990), dans lequel il appelait de ses vœux un changement radical du rôle des sciences et des techniques dans nos sociétés au nom de notre responsabilité envers les générations futures. À une éthique définie pour des individus vivant ensemble, il entendait ainsi substituer une éthique qui prenait en compte les conséquences lointaines de nos actions, à la fois envers les humains et envers la nature. C'était en quelque sorte affirmer que l'éthique et l'écologie était les deux faces d'un même problème.
      Avec ce nouveau livre, qui réunit six essais d'un recueil qu'il publia juste avant de mourir, on voit comment cette réflexion éthico-scientifique s'accompagnait chez Jonas d'une anthropologie philosophique. Son propos consiste en effet, tout en intégrant la théorie de l'évolution, à redéfinir contre un discours scientifique la place de l'homme dans l'univers. Son point de départ consiste à inverser l'analyse moderne du rapport matière-esprit : au lieu d'essayer de faire apparaître l'esprit, ou la subjectivité, d'une notion de la matière qui lui est étrangère, Jonas définit la matière par cette possibilité d'émergence de l'esprit. En réfléchissant ensuite sur la notion d'organisme, et en reconnaissant que la matière qui forme un corps peut se renouveler sans qu'il ne soit porté atteinte à l'intégrité de ce corps, Jonas justifie la nécessité de reconduire l'antique distinction entre la forme et la substance. Il pense ainsi pouvoir rendre compte d'une possible liberté de certaines formes du vivant, ce dont semble témoigner notre subjectivité mais ce que ne peut expliquer toute approche physicaliste de la matière.
      Fort de ces acquis — une matière conçue comme « de l'esprit qui dort » et une évolution du vivant qui débouche sur la liberté —, Jonas en vient à s'attaquer à un problème hautement spéculatif, puisqu'il s'agit du concept de Dieu (voir aussi son petit essai, Le Concept de Dieu après Auschwitz, 1994). Toute l'originalité de son propos réside alors dans l'idée que « Dieu » aurait davantage besoin de notre aide que l'inverse. Qu'on apprécie ou non le côté hypothétique de ces réflexions, il faut toutefois reconnaître qu'elles ont le mérite de nous faire prendre conscience de l'aspect peut-être tout aussi spéculatif des conceptions auxquelles elles s'opposent.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 113, février 2001.

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