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Compte rendu du livre :

Entropic Creation.
Religious Contexts of Thermodynamics and Cosmology,

de Helge S. Kragh,

Ashgate, 2008.

       Ouvrez un livre de vulgarisation scientifique sur la cosmologie. Qu'allez-vous y lire ? À coup sûr, qu'une des grandes découvertes du XXe siècle est que l'univers a une histoire. Comment en a-t-on pris conscience ? Grâce à la théorie du big bang qui va être présentée dans le livre en question. Que pensaient les chercheurs avant l'émergence de cette théorie ? Que l'univers était éternel et immuable. Si vous avez de la chance, vous pourrez même y lire qu'au début du XXe siècle le dogme persistant d'un univers éternel empêcha nombre de chercheurs d'apprécier la pertinence de la théorie du big bang.
       Ce leitmotiv inlassablement répété est malheureusement simpliste. Un rapide détour par l'histoire des sciences le montre aisément. Pas besoin de remonter loin. Il suffit de se tourner vers le XIXe siècle pour constater que l'origine et le destin de l'univers y furent des thèmes très souvent débattus. Pour découvrir en détail les tenants et les aboutissants de ces débats, rien de tel que le livre érudit, novateur et passionnant d'Helge Kragh. Ce dernier montre avec précision comment la deuxième loi de la thermodynamique alimenta de nombreuses spéculations sur l'histoire de l'univers. Formulée en 1850, cette loi stipule que l'entropie — c'est-à-dire le niveau de désordre ou degré d'uniformité — d'un système fermé ne peut que croître avec le temps. C'est cette loi qui rend compte du fait que, une fois versé, le lait se mélange inexorablement avec le café. Du coup, tout système fermé finit par atteindre un état d'équilibre inerte. Appliquée à l'univers, comme ce fut le cas dès les années 1850, la loi conduisit au spectre d'une « mort thermique » généralisée. À partir de la fin des années 1860, c'est le passé de l'univers qui fut concerné. Si l'univers est éternel, se demanda-t-on, n'aurait-il pas dû déjà atteindre un état de mort thermique ? Comme ce n'était manifestement pas le cas, certains penseurs en conclurent que l'univers avait un âge fini, voire qu'il avait été créé.
       Fallait-il accepter ces conséquences de la loi de l'entropie ? De 1870 à 1920, le débat fut permanent. Des considérations scientifiques, philosophiques et théologiques y intervenaient. Nombre de matérialistes récusèrent cette loi et prônèrent un univers éternel. Inversement, nombre de croyants l'utilisèrent à des fins apologétiques. Mais ce ne fut pas toujours le cas. Kragh montre en effet que les liens historiques entre philosophie, religion et science sont complexes. C'est un autre mérite de ce très bon livre.

Thomas Lepeltier, Pour la science, 378, avril 2009.

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