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Compte rendu du livre :

Ni Dieu ni gène.
Pour une autre théorie de l'hérédité,

de Jean-Jacques Kupiec et Pierre Sonigo,

Éditions du Seuil (Science ouverte), 2000.

      Qu'y a-t-il de commun entre la philosophie platonicienne et la biologie moléculaire contemporaine ? Tout simplement, l'idée que le monde apparent est doublé par un second monde qui en est l'explication : chez Platon, tout s'expliquait en effet par l'existence d'un monde intelligible dont notre monde n'était qu'une copie, et pour les biologistes actuels tout, ou presque tout, s'explique par les gènes qui seraient responsables des différentes formes et des différents comportements du vivant. Dans les deux cas, il existe comme un moule qui viendrait former une matière amorphe et qui préexisterait à la forme vivante en question, c'est-à-dire que dans les deux cas l'essence des formes vivantes existerait indépendamment de ces formes elles-mêmes (toute l'essence de l'homme était effectivement contenue dans l'Idée d'homme chez Platon, comme elle serait actuellement contenue dans son génome).
      Pour les deux auteurs de ce livre, la biologie fait actuellement fausse route en développant cette mystique du gène et en n'intégrant pas, contrairement à ce qu'elle prétend, les concepts développés par Darwin. Pour ce dernier, en effet, toute forme vivante était sujette à des petites modifications aléatoires et était soumise à un processus de sélection lié à son aptitude à vivre. N'entrait dans cette théorie aucune idée d'essence ou de programmation : le vivant évoluait selon une logique de survie, rien de plus. Or, pour nos auteurs, il n'y a aucune raison de ne pas appliquer ces idées aux cellules. C'est pourquoi, plutôt que de parler de programme génétique ou de décodage de l'information contenu dans le génome — comme si les molécules se transmettaient de l'information ! —, nos auteurs, biologistes de métier, cherchent à comprendre quelles nécessités pèsent sur la survie et le développement des cellules vivantes. Et ils illustrent la pertinence de leurs idées en nous montrant, chacun dans leur domaine de spécialité respectif, ce qu'elles peuvent apporter à la compréhension du développement de l'embryon et du fonctionnement des virus, notamment celui du sida.
      En critiquant la génétique moderne qui stipule que nous sommes en quelque sorte créés par un dieu-programme qui coordonnerait le comportement des cellules et qui serait inscrit dans notre ADN, ce livre de vulgarisation scientifique, soutenu par une réflexion philosophique fort bien menée, défend ainsi l'idée que notre organisme fonctionnerait plutôt comme une société décentralisée de cellules. À méditer.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 114, mars 2001.

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