L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Utilitarianism.
A Very Short Introduction,
de Katarzyna de Lazari-Radek et Peter Singer,
Oxford University Press, 2017.

Les philosophes français n’aiment pas l’utilitarisme. Ils y voient une morale de boutiquiers pour qui toute action s’évalue à la quantité de satisfaction qu’elle apporte. Ce mépris est injuste. Comme le montrent les deux auteurs de ce livre, les utilitaristes cherchent juste à fonder l’éthique la moins arbitraire qui soit. Or, à la question fondamentale « Que dois-je faire ? », y a-t-il une réponse plus directe que celle qui consiste à affirmer que l’on doit se comporter de manière à maximiser le bien-être (ou minimiser la souffrance) de tous ceux qui peuvent être affectés par nos actions ? En tout cas, c’est à une stimulante évaluation des tenants et aboutissants de cette règle que nous invite cet ouvrage.

Pourquoi réduire l’éthique à la maximisation du bien-être ? Peu de philosophes estiment que les conséquences de nos actes n’ont pas d’importance. Cela dit, beaucoup jugent qu’il faut quand même y ajouter le respect de certains principes – par exemple, ne jamais tuer un innocent. Mais comment justifier ces principes, sans tomber dans l’arbitraire ? Surtout, comment garantir que leur respect n’ait pas de conséquence tragique ? Notamment, faut-il s’interdire de tuer un innocent, même si ce meurtre permet d’en sauver mille ? Non, répondra un utilitariste. Et vous ? Après, que signifie précisément la notion de bien-être ? Est-ce le plaisir brut ou la satisfaction des désirs ? Cette distinction dessine deux utilitarismes : l’« utilitarisme hédoniste » et l’« utilitarisme des préférences ». Tous deux ont leurs forces et leurs faiblesses. Par exemple, avec le premier, ne risque-t-on pas de mettre au même niveau le plaisir d’un cochon se vautrant dans la boue et celui qu’un musicien peut atteindre avec la composition d’une grande symphonie ? Peut-être, mais privilégier les plaisirs recherchés ne revient-il pas à introduire des valeurs arbitraires dans les jugements éthiques. Qui plus est, une personne peut aspirer à quelque chose qui s’avérera néfaste pour elle. Dans ce cas, faut-il l’aider à réaliser son désir ?

Une autre problématique vient de la difficulté à évaluer la portée de nos actions. Ainsi, sauver une personne qui se noie peut apparaître comme une bonne initiative ; ce l’est moins, si cet individu devient un tueur en série. Mais on peut distinguer un « utilitarisme de l’acte », qui cherche à savoir si sauver cet individu précis sera globalement bénéfique, d’un « utilitarisme de la règle » qui se demande si sauver les personnes en train de se noyer a en général des conséquences positives. Ensuite, on pourrait être perturbé par le fait qu’il est souvent difficile de savoir comment maximiser le bien-être autour de nous. Faut-il, par exemple, rendre visite à sa grand-mère esseulée ou jouer avec ses enfants ? Ce n’est toutefois pas un problème rédhibitoire : depuis quand l’incertitude devrait-elle nous empêcher d’essayer de faire au mieux ? Peut-être plus troublant est le fait que l’utilitarisme est très demandeur. Alors que la plupart des autres éthiques posent des interdits (par exemple, ne pas tuer un innocent), l’utilitarisme enjoint de maximiser le bien-être. Du coup, on devrait toujours chercher à agir de la façon qui diminue le plus la misère du monde. Mais ce côté exigeant de l’utilitarisme n’est pas un motif d’invalidation. On peut au contraire le voir comme une invitation à mieux agir. Est-ce une perspective suffisante pour justifier l’utilitarisme ? À discuter, bien sûr. En tout cas, ce livre est une mine de réflexions à ce sujet.

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 302, avril 2018.


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Autres livres à signaler :

— Peter Singer, Ethics in the Real World, Princeton University Press, 2017.

— Katarzyna de Lazari-Radek et Peter Singer, The Point of View of the Universe, Oxford University Press, 2014.

— Ben Eggleston et Dale E. Miller, The Cambridge Companion to Utilitarianism, Cambridge University Press, 2014.