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Compte rendu du livre :

L'Atome. Chimère ou réalité ?
Débats et combats dans la chimie du XIXe siècle
,

de Claude Lécaille,

Vuibert & Adapt-Snes (Collection « Inflexions »), 2009.

       « Si j'en étais le maître, j'effacerais le mot atome de la science, persuadé qu'il va plus loin que l'expérience ; et jamais en chimie nous ne devons aller plus loin que l'expérience ». Ainsi s'exprimait Jean-Baptiste Dumas en 1836 dans un cours au Collège de France. Ce brillant chimiste avait pourtant été, durant des années, un atomiste convaincu. Mais les gaz, liquides et solides étaient récalcitrants. Chauffés, mélangés, décomposés, ils ne se retrouvaient pas dans les proportions que prévoyaient les atomistes. Aussi Dumas s'était-il mis à douter. Désormais, il adopterait une démarche empiriste et se méfierait des spéculations osées sur la nature de la matière.
       Comme le montre l'historien des sciences Claude Lécaille dans ce petit livre clair et précis, cet épisode est symptomatique de tous les débats qui traversent le XIXe siècle à propos de l'hypothèse atomique. Un atome est-il uniquement un concept, plus ou moins commode pour représenter la réalité, ou correspond-il à quelque chose de vraiment réel ? La réponse à cette question était d'autant moins évidente que, sous le nom d'atome, les acteurs de cette saga désignaient des réalités différentes. De surcroît, en décrivant pas à pas l'évolution de ces débats, de la formulation de l'hypothèse atomique par John Dalton en 1808 jusqu'à son triomphe au début du XXe siècle, Lécaille montre qu'ils ont une dimension autant philosophique que scientifique.
       Comme Dumas, beaucoup de chimistes, se rangeant derrière la bannière de l'empirisme, refusaient ces atomes que l'on ne pouvait pas voir. Le très influent Marcellin Berthelot écrivait ainsi dans les années 1870 : « On ne saurait scientifiquement admettre les atomes parce qu'on ne les a jamais vus ». Quelques années plus tard, il déclara même refuser l'atomisme parce qu'il ne voulait pas « voir la chimie dégénérer en religion » : « Je ne veux pas que l'on croie à l'existence réelle des atomes comme les chrétiens croient à la présence réelle de Jésus-Christ dans l'hostie consacrée. » Dans le camp opposé, la grandiloquence était à peine moindre. Par exemple, en 1868, un Alfred Naquet écrivait qu'on ne pouvait se passer de l'hypothèse atomique « qu'en faisant de la chimie un empirisme dans lequel la science étouffe » ! L'histoire lui donna raison. Les spéculations osées ont finalement leurs vertus. Ce qui ne veut pas dire, comme le souligne Lécaille en conclusion de ce livre très instructif, qu'il faut mépriser la prudence des « chimistes de paillasse ». C'est une question de juste milieu.

Thomas Lepeltier, Pour la science, 388, février 2010.

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