L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Natural.
The Seductive Myth of Nature’s Goodness,
d’Alan Levinovitz,
Profile Books, 2020.

Notre société est imprégnée de l’idée que ce qui est naturel est bon : bon pour nous, bon pour la planète, bon en soi. Tous les jours, d’aucuns vantent ainsi les mérites des produits bio, nous enjoignent d’éviter les aliments transformés, font la promotion de médecines alternatives, nous encouragent à vivre en harmonie avec la nature et ainsi de suite. Pourtant, rien ne justifie cet engouement pour le naturel, si ce n’est une vague idéologie aux connotations religieuses. C’est du moins la thèse d’Alan Levinovitz qui entend déconstruire ce mythe d’une nature à la fois bienveillante et à respecter. Ce professeur en études religieuses passe en effet en revue un ensemble de références à de supposés activités ou produits naturels et souligne d’abord le flou qui les caractérise. Ses analyses concernent des méthodes d’accouchement, des produits alimentaires et de santé, des parcs naturels, des principes économiques, des pratiques sexuelles et sportives, etc. À chaque fois, il montre qu’il est très difficile de distinguer ce qui est naturel de ce qui ne l’est pas. Qu’est-ce qu’un aliment naturel, par exemple ? Est-ce une nourriture qui ne serait issue d’aucune interférence humaine ? Mais, dans ce cas, aucun des fruits et légumes que l’on consomme ne pourrait être considéré comme naturel dans la mesure où ils résultent tous d’importantes manipulations au cours des siècles, en particulier de procédés de sélection artificielle. Puis, rien que la cuisson consiste à transformer les aliments.

Levinovitz montre ensuite l’absurdité qu’il y a à se méfier des produits dits chimiques dans leur ensemble, pour la simple raison que tout est chimique, c’est-à-dire constitué d’éléments chimiques. De même pour les produits de synthèse ou ceux qui sont génétiquement modifiés : il n’y a aucune raison de penser qu’ils soient systématiquement mauvais, ou ne serait-ce que moins bons, pour la santé que des produits décrétés naturels, mais dont beaucoup procèderaient, eux aussi, de manipulations et élaborations diverses. Inversement, Levinovitz rappelle les méfaits provenant de multiples processus naturels : virus, bactéries, parasites, maladies diverses, cataclysmes, etc. Seuls les humains qui jouissent d’un style de vie suffisamment protégé des ravages de la nature, note-t-il, ont la naïveté de l’idéaliser. Par exemple, dans les pays dotés de bons systèmes de santé, des femmes peuvent avoir le loisir d’essayer des méthodes d’accouchement dites « naturelles » sans courir de danger majeur. Mais dans les endroits du monde où la mortalité maternelle et infantile est élevée, les femmes aimeraient bien bénéficier d’un encadrement aseptisé et médicalisé.

Enfin, Levinovitz montre comment les appels à la nature cachent souvent une pensée réactionnaire. Par exemple, autant les relations interraciales que l’homosexualité ont longtemps été considérées comme transgressant les frontières naturelles et ont donc été interdites. De nos jours, ce sont des avancées médicales ou des évolutions sociétales qui peuvent être décrétées contre-nature et, pour cette raison même, condamnées. Mais Levinovitz montre, là encore, que ces condamnations n’ont aucun fondement rationnel. Aussi en vient-il à avancer que faire de la nature une entité non seulement bienveillante mais également capable de punir ceux qui violeraient ses supposés principes s’apparente à une attitude religieuse. D’une certaine manière, le mot « nature » aurait remplacé celui de « Dieu ». La morale de l’histoire est qu’il vaudrait mieux se défier de la nature que la vénérer.

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 330, novembre 2020.


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