Publié dans   

 

Compte rendu du livre :

Adam's ancestors.
Race, religion & the politics of human origins,

de David N. Livingstone,

John Hopkins University Press, 2008.

      L'idée que tous les êtres humains ont une origine commune est de nos jours largement acceptée. On pourrait n'y voir qu'une thèse émanant de la génétique et de la paléoanthropologie. Juste un résultat scientifique. Mais la situation s'avère plus compliquée. Comme le montre David Livingstone dans ce livre fascinant, où il retrace avec précision l'histoire des spéculations concernant les ancêtres d'Adam, les débats sur les origines des êtres humains ont souvent eu — et continuent d'avoir — une dimension morale et politique.
      En Occident, pendant des siècles, il était admis que tous les êtres humains descendaient d'Adam. C'est ce que semblait affirmer la Bible. De ce monogénisme, on tirait l'idée qu'une certaine solidarité devait s'exercer entre humains. Les hommes et les femmes n'étaient-ils pas tous, au bout du compte, des cousins et cousines ? En revanche, les autres espèces pouvaient être exploitées à merci. Or, ce monogénisme fut remis en cause au XVIIe siècle. On commença à affirmer qu'Adam n'avait pas été le premier habitant sur Terre. Fondée sur l'exégèse biblique, sur des découvertes archéologiques et sur la rencontre avec des peuples « exotiques », cette thèse sur l'existence d'ancêtres d'Adam fut reçue comme une attaque contre les Écritures. Elle fut d'abord une hérésie. Par une ironie de l'histoire, elle devint au XIXe siècle un argument de poids en matière d'orthodoxie religieuse. À une époque où la paléoanthropologie soulignait l'ancienneté de l'homme, il était possible de sauver le récit biblique de la Création en affirmant que ce dernier ne concernait qu'Adam et ses descendants. Du coup, il n'y avait pas forcément conflit entre la science et la Bible. Tristement, interprété comme un polygénisme, ce préadamisme en vint également à alimenter toute une série de discours racistes. Si les jaunes, les rouges et les noirs ne descendent pas d'Adam, rien de plus normal que la suprématie blanche, affirmait-on !
      De nos jours, le préadamisme n'a pas complètement disparu. Pour quelques marginaux, il continue à être un argument anti-évolutionniste ou, au contraire, un moyen de rapprocher le darwinisme du récit de la Genèse. Pour d'autres, il persiste à nourrir une forme particulièrement virulente de racisme. En tout cas, à l'extérieur de ces mouvances isolées, toute forme de polygénisme, même sécularisé, est désormais honnie. Une fois encore, une certaine ironie n'est pas absente de cette situation puisque polygénistes et monogénistes partagent bien souvent le même présupposé contestable. Si le polygénisme est rejeté si passionnément, c'est en effet parce que les monogénistes reconnaissent eux aussi — à leur grand effroi ! — qu'une origine distincte justifierait une forme de domination. C'est pour cela que l'exploitation du monde animal est socialement admise.
      Pourquoi ce présupposé est-il critiquable ? Dans son roman Avant Adam (Before Adam, 1907), Jack London imagina l'histoire des temps préhistoriques. Deux « races » s'y affrontaient : les presque humains, avec leur langage rudimentaire ; et les nouveaux arrivants, nos ancêtres, plus évolués. Le romancier ne cherchait pas à louer la supériorité des seconds. London racontait comment, agressifs et sans pitié, ils exterminèrent les premiers avec cruauté. Sa sympathie était tournée vers les faibles, vers ceux issus d'une autre souche que la nôtre. L'écrivain illustrait ainsi à merveille l'aspect problématique de ce droit que s'arrogent les « fils d'Adam » d'asservir, voire d'exterminer les « autres ». Bref, parler des origines, c'est souvent faire de la politique…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 201, février 2009.

Pour acheter ce livre : Amazon.fr