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Compte rendu du livre :

Histoire et salut.
Les présupposés théologiques de la philosophie de l'histoire,

de Karl Löwith,

Traduit de l'allemand par Marie-Christine
Challiol-Gillet, Sylvie Hurstel et Jean-François Kervégan,
Présentation de Jean-François Kervégan,
Gallimard (Bibliothèque de Philosophie), 2002.

      « On peut difficilement se représenter un homme d'État moderne qui, après la fin victorieuse de la Seconde Guerre mondiale, aurait pu dire, comme Scipion après la destruction de Carthage : le même destin que nous avons maintenant infligé à Berlin sera un jour celui de Moscou ou de Washington ! La conscience historique moderne, que la responsabilité en revienne à Hegel et à Marx ou à Comte, ne comprend plus comment penser ensemble l'avenir et le passé, parce qu'elle ne veut pas admettre que toutes les choses terrestres apparaissent et disparaissent. » Ainsi s'exprimait Karl Löwith à propos de la différence entre la conscience classique et la conscience moderne de l'histoire. De ce juif allemand ayant dû fuir l'Allemagne de Hitler pour les États-Unis, on trouvera ici la traduction d'un livre important, datant de 1949, et de quelques articles publiés entre 1950 et 1960. Karl Löwith montrait en particulier dans ces textes que la philosophie de l'histoire, née explicitement avec Voltaire, ayant connu son apogée au XIXe siècle avec Hegel, Marx et Comte, et qui joua un rôle fondamental dans l'idéologie du progrès, n'était que la transposition sécularisée de la vision de l'histoire élaborée par le christianisme.
      Mais outre cette thèse, devenue classique depuis lors et étayée ici par une succession d'études sur Saint-Augustin, Orose, Joachim de Flore, Bossuet, Vico, Voltaire, Hegel et Marx, Karl Löwith s'interroge sur la conscience historique propre à notre temps. Notamment, il remarque que si le salut n'est plus à l'horizon de l'histoire et si un certain scepticisme bouscule les grandes visions eschatologiques, il n'en reste pas moins que nous sommes encore tributaires de cette philosophie de l'histoire comme en témoigne notre souci de l'avenir — le fait que nous nous demandons inlassablement « où allons-nous ? ». Ce souci viendrait en effet directement de l'eschatologie chrétienne, et serait pour cette raison étranger aux Grecs qui se demandaient uniquement face à tout événement important « comment cela est-il arrivé ? ». Ainsi notre époque serait partagée entre l'attente d'un accomplissement de l'histoire, le rejet de la notion de salut, la croyance en un progrès linéaire sans fin et des doutes quant à l'idée d'une direction de l'histoire. Cette indécision ne serait selon Karl Löwith que la marque des apories de notre conscience historique…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 135, février 2003.

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