L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
lukes-relativisme-moral
Compte rendu du livre :
 
Le Relativisme moral,
de Steven Lukes,
Traduit de l’anglais par Alice el-Wakil,
Éditions Markus Haller, 2015.

Peut-on catégoriquement affirmer qu’il est immoral d’exciser les petites filles, alors même que cette pratique est valorisée dans certaines cultures ? C’est ce que pensent en général les citoyens des démocraties modernes. Cependant, par peur d’adopter une vision ethnocentrique ou néocolonialiste, certains estiment qu’il n’y aurait pas à juger ce qui relève d’autres traditions. Qui sommes-nous, disent-ils, pour décider à la place des « autres » de ce qui est bien ou mal ? Ce « relativisme moral » part ainsi d’une bonne intention. Est-il pour autant défendable ? C’est la question que pose ce livre du sociologue Steven Lukes.

L’intérêt de l’ouvrage vient, pour une part, des éclairages historiques qu’il apporte sur les débats autour de cette conception relativiste de la morale. On comprend mieux ainsi quand et pourquoi elle a trouvé des défenseurs. L’autre intérêt est bien sûr sa réponse, en l’occurrence négative. La partie n’était pas gagnée d’avance. Ce n’est pas parce que l’on est révulsé par l’excision des petites filles qu’il est facile de montrer que cette pratique est en soi mauvaise. Après tout, pourquoi le système de valeurs mis en avant par d’autres cultures que la nôtre serait-il moins légitime ?

Pour réfuter ce relativisme moral, Lukes opère plusieurs clarifications conceptuelles. Probablement la plus importante consiste à montrer que beaucoup de controverses sur des pratiques ne proviennent pas d’un conflit de valeurs, comme on le pense souvent, mais d’une divergence d’analyse des situations. Par exemple, dans une culture, on peut faire du mal à quelqu’un en croyant agir pour son bien ; dans une autre, on peut condamner cette violence pour la même raison. Dans ce cas, il n’y a pas opposition entre des valeurs irréconciliables — puisque tout le monde veut faire du bien —, mais erreur de jugement au sein d’une culture. Ceux qui se trompent devraient donc, au nom de leurs propres valeurs, se remettre en cause. Par ce genre de mise au point, Lukes tente de montrer qu’il existe des valeurs morales objectives et que, entre autres, l’excision est un mal. Nous voilà rassurés !

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 272, juillet 2015.


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