L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Plant Minds
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A philosophical Defense,
de Chauncey Maher,
Routledge, 2017.

Les plantes pensent-elles ? Au fur et à mesure que l’on découvre la complexité du monde végétal, la question se pose avec plus d’acuité. De nos jours, elle est même à la mode. Mais l’attribution d’une forme de conscience aux végétaux semble quand même saugrenue à de nombreux chercheurs : comment, objectent-ils, des organismes dépourvus de cerveau pourraient-ils penser ? C’était d’ailleurs la position de l’auteur de ce livre, le philosophe Chauncey Maher, quand il a commencé à s’intéresser à cette question… jusqu’à ce qu’il change d’avis. À ses yeux, ce refus d’attribuer une conscience aux plantes provient principalement du présupposé que toute forme de pensée repose sur la capacité à se représenter le monde. Mais cette conception représentationnelle de la conscience lui apparaît désormais trop restrictive. Pour bien faire saisir ce changement de perspective, il commence ce livre par mettre en avant toutes les raisons que l’on a de ne pas attribuer aux plantes une conscience, au sens classique du terme. Puis, à la fin du livre, il montre comment une conception élargie de la conscience semble plus crédible et permet d’échapper à ces objections. Du coup, il en vient à concevoir que les plantes pensent.

Concernant les arguments à charge, Maher revient sur les expériences ou observations pouvant faire croire que les plantes sont capables de percevoir le monde, de le ressentir, d’en mémoriser certains aspects et d’agir volontairement dessus. Mais, à chaque fois, il montre que cela n’implique aucune représentation de quoi que ce soit. Par exemple, on dit parfois que des plantes peuvent percevoir la position du soleil. Mais Maher ne détecte, dans leur façon de se tourner vers cette source de lumière, rien d’autre qu’une réponse à des stimuli. Qu’à cela ne tienne, certains biologistes avancent que les plantes ont des ressentis (ou qualia). Impossible de le nier, reconnaît Maher, mais il est difficile de comprendre comment elles pourraient se représenter ce qui les affecte. Cela veut-il dire que les plantes sont inertes comme les pierres ? Pas forcément, avancent certains biologistes : à la différence des objets inanimés, elles auraient la capacité de retenir certaines informations (comme la température, l’orientation de la lumière, l’occurrence de contacts, etc.). Mais, là encore, Maher soutient que cette apparente mémorisation n’implique aucune représentation d’événements passés ; juste le fait que les plantes ont été affectées par ceux-ci. Enfin, les plantes donnent parfois l’impression de prendre des initiatives, comme lorsqu’elles relâchent des substances chimiques en présence de prédateurs. Mais les plantes qui envoient ce genre de « signal » ne sont, comme Maher le montre, pas en mesure de se représenter l’état des autres plantes qui le reçoivent. Elles ne pensent donc pas à ce qu’elles font.

Reste que, pour Maher, avoir conscience du monde n’est pas nécessairement se le représenter. Passant en revue les différentes approches de la conscience, il en arrive ainsi à penser qu’il suffit d’avoir un souci de soi pour en manifester ne serait-ce qu’une forme élémentaire. Autrement dit, si le monde signifie quelque chose pour un organisme (en bien ou mal vis-à-vis de son intégrité) et qu’il peut, dans une certaine mesure, s’y adapter, il en aurait conscience. Du coup, les plantes penseraient, à leur façon. Toute la question est maintenant de savoir si cette conception élargie de la conscience ne fait pas perdre à cette dernière sa signification…

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 301, mars 2018.


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Livres à signaler :

—  Monica Gagliano, John C. Ryan et Patrícia Vieira (eds), The Language of Plants, University Of Minnesota Press, 2017.
— Stefano Mancuso et Alessandra Viola, Brilliant Green. The Surprising History and Science of Plant Intelligence, Island Press, 2015.
— Daniel Chamovitz, What a Plant Knows. A Field Guide to the Senses, Scientific American, 2013.