L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
L’Intelligence des plantes,
de Stefano Mancuso et Alessandra Viola,
Préface de Michael Pollan,
Albin Michel, 2018.

Les plantes seraient intelligentes. La thèse fait de plus en plus la une des médias. L’un des biologistes les plus en vue à la défendre est Stefano Mancuso qui dirige un laboratoire de neurobiologie végétale à l’Université de Florence. L’intitulé de ce centre de recherche est déjà osé puisque les plantes n’ont pas de neurones. Mais, dans ce livre écrit avec la journaliste scientifique Alessandra Viola, Mancuso montre que, chez les plantes, les fonctions ne sont pas liées à des organes spécialisés : elles respirent sans poumon, ont un système circulatoire sans cœur, se nourrissent sans bouche, digèrent sans estomac, perçoivent les sons sans oreille, etc. Alors, pourquoi ne pourraient-elles pas penser sans cerveau ni neurones ? La première condition pour l’envisager est bien sûr qu’elles fassent preuves de comportements ingénieux. Aussi le livre s’emploie-t-il à montrer que les plantes sont en mesure de communiquer avec d’autres végétaux, d’interagir avec des animaux, d’avoir des relations sociales, de résoudre des problèmes liés à leur environnement, d’apprendre, de mémoriser, etc. Par exemple, alors qu’elles ont tendance à développer leurs racines au détriment des plantes avoisinantes, pour mieux accaparer les ressources de la terre, les plantes ne le font pas autant si leurs voisines sont des parentes. Ou encore, certaines plantes, très réactives au toucher, arrêtent de réagir quand elles « comprennent » après plusieurs occurrences que les stimuli mécaniques auxquels elles sont soumises ne les menacent pas. Mises bout à bout, toutes ces facultés semblent témoigner d’une forme d’intelligence. Le grand intérêt du livre réside d’ailleurs dans les descriptions qu’il fait de ces fascinantes aptitudes des plantes. Reste à savoir si on peut, pour autant, vraiment parler d’intelligence.

Mancuso définit cette dernière comme la capacité à résoudre des problèmes. Étant donné que c’est une faculté que l’on observe chez les plantes, il en conclut qu’elles sont intelligentes. Leur absence de cerveau serait juste une « stratégie » de défense. De fait, à la différence des animaux, les plantes sont des organismes qui ne peuvent pas se déplacer. Elles sont donc particulièrement vulnérables aux prédateurs. Si un herbivore arrachait un organe dont la fonction ne pourrait pas être remplie par un autre, il provoquerait la mort de la plante concernée. C’est pour cette raison que les plantes ne possèdent pas d’organe spécialisé et sont fortement divisibles (certaines plantes peuvent perdre la quasi totalité de leur organisme et repousser normalement). Mais cette spécificité ne les empêche pas d’accomplir toutes les fonctions associées à des organes spécialisées chez les animaux. D’où l’idée qu’elles sont intelligentes, comme ces derniers. Toutefois, l’un des problèmes de cette thèse est que, comme le reconnaît lui-même Mancuso, « une plante n’est pas un individu ». Dès lors, à qui ou quoi faudrait-il attribuer son intelligence ? À ses feuilles, à ses tiges, à ses branches ou à ses racines ? Cela n’aurait guère de sens. L’intelligence ne peut pas non plus être une propriété émergente de la totalité de la plante puisque cette dernière est, comme on l’a vu, divisible. Cette notion d’intelligence des plantes est donc trompeuse. On peut bien sûr l’utiliser pour évoquer la grande subtilité des processus biologiques mis en œuvre dans le monde végétal, mais il serait abusif de s’en servir pour laisser entendre que les plantes pensent et agissent avec circonspection…

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 306, août-septembre 2018.


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