Il y a plus de deux siècles, le botaniste René Desfontaines étudia le comportement des sensitives (plantes dont le nom savant est Mimosa pudica) lorsqu’elles étaient transportées en voiture dans les rues de Paris. Au début, elles fermaient rapidement leurs feuilles en réaction aux multiples soubresauts dus aux pavés. Mais, après un certain temps, les sensitives rouvraient leurs feuilles, comme si elles avaient compris qu’elles ne risquaient rien. Cette expérience a, depuis lors, été reprise en laboratoire et il a été démontré que ces plantes peuvent apprendre à distinguer le caractère inoffensif d’un mouvement qu’on leur fait subir et même s’en souvenir pendant des semaines. Pour Stefano Mancuso, qui dirige le Laboratoire de neurobiologie végétale de l’Université de Florence et qui raconte cette histoire dans ce livre, cette capacité d’apprentissage et de mémorisation témoigne d’une intelligence des plantes. L’idée est bien sûr provocatrice, puisqu’il est ici question d’organismes sans cerveau.
Pour Mancuso, il faut toutefois comprendre que les plantes ont un mode de fonctionnement bien différent de celui des animaux du fait qu’elles ne peuvent pas bouger. Notamment, incapables de fuir des prédateurs, elles ne peuvent pas se permettre de posséder, comme les animaux, des organes localisés (cœur, poumons, etc.) assurant des fonctions vitales. Sinon, elles se feraient décimer au moindre passage d’herbivores. Aussi leur est-il nécessaire d’être modulaires, c’est-à-dire d’avoir leurs fonctions vitales décentralisées, de sorte qu’elles peuvent continuer à vivre même en étant dévorées aux trois quarts, voire davantage. Du coup, elles respirent sans poumon, ont un système circulatoire sans cœur, se nourrissent sans bouche, etc. D’une manière générale, elles font même preuve de beaucoup plus d’ingéniosité que les animaux qui, en étant mobiles, ne résolvent pas les problèmes, mais les évitent.
Faisant suite à L’Intelligence des plantes (Albin Michel, 2018) du même auteur, ce nouvel ouvrage fait découvrir de façon élégante ce monde fascinant des plantes. Mais il pèche par le même style d’ambiguïté. Par exemple, en montrant que certaines plantes possèdent une formidable capacité d’imitation, Mancuso laisse entendre qu’elles sont capables de voir. Or une simple explication fondée sur le processus de sélection naturelle permet de rendre compte de cette capacité sans recourir au concept de vision. De même pour l’intelligence – d’autant plus que, comme Mancuso le rappelle lui-même, une plante ne peut être considérée comme un individu. Au mieux, un arbre est une colonie. Quel sens y a-t-il alors à parler d’une intelligence des plantes ? Mais, si on oublie ces travers, l’enthousiasme de l’auteur pour le caractère génial des plantes est communicatif.
Thomas Lepeltier,
La Recherche, 544,
février 2019.
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