L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
marks-information-nexus
Compte rendu du livre :
 
The Information Nexus.
Global Capitalism from the Renaissance to the present,
de Steven G. Marks,
Princeton University Press, 2016.

Le capitalisme, tout le monde en parle, pour le critiquer ou en louer les mérites. Mais comment le définir ? Est-il lié au développement de la propriété privée ? Correspond-il à la recherche du profit lors des échanges commerciaux ? Est-il né avec la mise en place de la spéculation financière ? Se caractérise-t-il par la division du travail ? Ou par le salariat ? Pour Steven Marks, professeur d’histoire économique, toutes ces définitions classiques manquent leur cible. En effet, la propriété privée, explique-t-il, est vieille comme la civilisation. Son respect a même souvent diminué dans les sociétés industrielles. Quant aux marchants, fermiers ou artisans, ils n’ont pas attendu ces deux ou trois derniers siècles pour essayer de faire du profit avec leurs négoces. À Sumer, au 3e millénaire avant l’ère commune, la recherche de bénéfices était déjà au cœur des échanges commerciaux. L’investissement d’un capital pour le faire fructifier n’a rien de nouveau non plus. Il était couramment pratiqué dans la Grèce et la Rome antiques. Même la division du travail et le salariat sont très anciens. Certes, il y a eu des sociétés esclavagistes. Mais l’existence d’une main-d’œuvre servile a rarement supprimé la présence de travailleurs libres, spécialisés et payés à la tâche. Bref, si toutes ces caractéristiques se retrouvent ainsi dans nombre de civilisations au cours des derniers millénaires, on pourrait être tenté de considérer que le capitalisme est le propre de toute société qui fait du commerce. Autant dire que ce ne serait pas un concept très utile.

Ce n’est toutefois pas l’avis de Steven Marks qui estime que les sociétés dites capitalistes ont bel et bien développé une spécificité. Cette dernière serait juste différente de celles avancées ci-dessus. En effet, selon cet auteur, les sociétés précapitalistes, que ce soit en Europe ou en Asie, tout en ayant des marchés, tout en faisant du commerce et tout en ne rechignant pas au profit, ne bénéficiaient pas d’une libre circulation de l’information, notamment en ce qui concerne les prix des denrées et les opportunités d’affaires. Contraint par un faible développement technologique et par un contrôle gouvernemental, le flot limité d’information les empêchait de créer la dynamique commerciale et financière caractéristique des sociétés capitalistes que nous connaissons de nos jours. C’est la publication sans restriction de toutes les données exploitables commercialement par une population éduquée qui a permis à de véritables économies capitalistes de se développer pour la première fois au cours du xviie siècle, au Pays-Bas et au Royaume-Uni. À partir du milieu du xixe siècle, le développement du train, du télégraphe, de la presse de masse puis du téléphone, de la radio et d’autres moyens de communication a ensuite amplifié l’essor de ces économies. De nos jours, la révolution numérique ne fait qu’accentuer cette dynamique, notamment en permettant à des pays en voie de développement d’accéder plus facilement qu’auparavant à ce flot d’information. Reste bien sûr que des pays comme la Chine, où l’information demeure encore sous contrôle étatique, ont du mal à passer d’une économie de l’imitation à une économie de l’innovation.

Au bout du compte, il ressort de ce livre que les sempiternelles critiques ou louanges du capitalisme n’ont finalement pas tellement de sens. S’il naît de la libre circulation de l’information, la seule question qui vaille d’être posée à son sujet, c’est de savoir comment règlementer les conditions de travail et les modalités du profit. Le reste n’est que vaine exécration ou idolâtrie…

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 288, janvier 2017.


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Autre livre à signaler :

— Jürgen Kocka et Marcel van der Linden (ed), Capitalism. The Reemergence of a Historical Concept, Bloomsbury Academic, 2016.