Le monde va-t-il mal ? Dans un discours prononcé en 1828, le philosophe John Stuart Mill déclara que « ce n’est pas la personne qui espère quand les autres désespèrent, mais celle qui désespère quand les autres espèrent qui est admirée par beaucoup comme un sage ». La proposition semble se vérifier de nos jours, car les chercheurs soutenant que la situation du monde n’est pas si mauvaise et qu’il y a des raisons d’espérer sont traités, au mieux, de doux rêveurs, alors que ceux qui discourent sur les malheurs d’un monde allant de mal en pis suscitent une grande admiration. On les prend même pour des sages quand ils en appellent à un changement radical et immédiat de logique économique parce que, disent-ils, une croissance infinie dans un monde fini ne peut que conduire à un effondrement. Pourtant, le propos est saugrenu s’il ne s’accompagne pas d’une échelle temporelle. De fait, un épuisement des ressources de la Terre dans mille ans n’a pas du tout les mêmes implications politiques que le même épuisement dans cinquante ans. Dans ces débats, il est donc préférable d’être un peu précis.
Dans ce livre, Andrew McAfee, chercheur dans une école de management aux États-Unis, entreprend justement d’analyser en détail cette question des ressources. Il commence par faire remarquer que toutes les prédictions catastrophiques depuis deux siècles se sont révélées fausses. La répétition de ces erreurs devrait inciter à la prudence. Certes, le développement économique depuis les débuts de la révolution industrielle s’est construit sur une utilisation croissante des ressources (énergies fossiles, minéraux, surfaces agricoles, etc.). La perspective d’un inévitable tarissement à venir pouvait donc inquiéter. Mais McAfee prône l’optimisme car, dans les pays les plus développés, depuis une quarantaine d’années, grâce au développement technologique, la croissance repose désormais sur une moindre utilisation des ressources. Ces économies en font donc plus avec moins (more from less). Par exemple, un téléphone portable utilise bien moins de matériaux que tous les appareils qu’il remplace. Qui plus est, après avoir été régulièrement en augmentation, le niveau de pollution dans ces pays a finalement diminué. Dès lors, plutôt que de redouter que le développement des pays pauvres épuise et pollue davantage la planète, McAfee estime qu’il faut au contraire aider le plus rapidement possible ces pays à s’enrichir. C’est, à ses yeux, moralement juste et écologiquement sain.
Il lui semble également aberrant de vouloir abandonner un système économique qui a fait ses preuves. Comme il le montre, globalement, jamais la situation des sociétés humaines n’a été meilleure et nulle part elle n’est meilleure (en ce qui concerne la mortalité, l’accès aux soins, l’éducation, etc.) que là où le capitalisme règne depuis longtemps. Cela ne veut pas dire que tout est bien dans le meilleur des mondes. Notamment, l’auteur reconnaît que sans régulation étatique, la pollution, l’augmentation des gaz à effet de serre et les inégalités sociales ont tendance à augmenter. Mais, selon lui, il est préférable d’optimiser cette régulation que de rejeter toute forme de prospérité, comme les partisans de la décroissance nous invitent à le faire. Bien sûr, on pourra toujours se méfier de l’optimisme de l’auteur et lui reprocher de ne pas prôner davantage de parcimonie dans l’utilisation des ressources. Mais par l’ensemble des données factuelles que son livre apporte, il contrebalance utilement les visions apocalyptiques à la mode de nos jours. Rien de tel pour faire réfléchir…
Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines,
324, avril 2020.
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