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Compte rendu du livre :

Michelet ou la subversion du passé.
Quatre leçons au Collège de France,

d'Arthur Mitzman,

Préface de Michelle Perrot,
La Boutique de l'Histoire (Histoire de l'histoire), 1999.

      L'historien veut restituer le passé tel qu'il était. Mais comment arriver à comprendre ce qui n'est plus ? Comment entrer dans le royaume des morts pour les interroger et les faire parler ? À toutes ces questions, le grand historien de la France Jules Michelet (1798-1874) répondait sans hésiter : en revivant intérieurement l'histoire en question. Ses écrits sont remplis d'allusions à cette « méthode » qui faisait écho à son besoin de se fondre dans les morts, de se nourrir, comme il disait, de leur sang noir, et de leur restituer ce qu'il pouvait de sa vie chaude et palpitante. Trouvant ainsi en lui-même, dans sa vie intime, la force d'opérer une « résurrection intégrale de la vie du passé », Michelet produisit une œuvre tout aussi éclatante que foisonnante qui, par son succès, a fortement contribué à façonner notre représentation du passé. D'où l'intérêt d'étudier les liens entre son histoire personnelle et son travail historiographique, comme le fait Arthur Mitzman dans ce livre issu de quatre conférences données au Collège de France à l'occasion du bicentenaire de la naissance de l'historien.
      Le propos de Mitzman consiste à montrer que le moment-clef de cette subversion du passé qu'accomplissait Michelet — au sens où il abattait la cloison entre le passé et le présent — se situerait autour de 1840. C'est l'époque où, déçu par la politique mise en œuvre depuis la Révolution de 1830, il devint de plus en plus une figure de l'opposition, ami du peuple et anticlérical. C'est aussi l'époque où successivement, en l'espace de quelques années, il perdit sa première femme, puis sa nouvelle compagne et tomba amoureux d'une jeune femme, de 30 ans sa cadette. Cette déception, ces coups du destin et cette lueur d'espoir bouleversent alors tout son travail d'historien. Il se fait le tribun du peuple, le prophète de la révolution sociale et de la fraternité, et le chantre de la féminité. Il recompose son Histoire de France en conséquence, bouleverse l'ordre de parution des tomes, « invente » la Renaissance, met le peuple au cœur des processus historiques et supprime ses anciennes louanges envers l'Église. En bref, il illustre merveilleusement à quel point toute histoire serait histoire contemporaine.
      On pourrait ne voir là que le travers d'un historien. Nullement, affirme Mitzman. Considérant que ce serait une naïveté de croire à une histoire neutre, il assume complètement la « méthode » de Michelet et en appelle, lui aussi, à « subvertir » le passé afin de continuer le combat pour un monde plus juste...

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 111, décembre 2000.

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