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Compte rendu du livre :

La Première révolution européenne.
Xe - XIIIe siècles,

de Robert I. Moore,

Traduit de l'anglais par Jean-Pierre Bardos,
Seuil (Faire l'Europe), 2001.

      L'idée — qui connut son âge d'or au XIXe siècle — que la population de l'Occident chrétien fut saisie de terreurs à l'approche de l'an mil n'est aujourd'hui plus prise au sérieux par les historiens. L'an mil reste toutefois une date charnière, puisque les spécialistes considèrent souvent que l'Europe connut une profonde mutation de ses structures sociales et idéologiques autour des années 980-1030 environ. Georges Duby, par exemple, n'hésitait pas à parler pour cette période de « révolution féodale ». Mais ce genre de théorie, qui interprète les évolutions en termes de rupture, est de nos jours combattu par quelques historiens qui soulignent au contraire l'importance des continuités entre la société carolingienne et les XIe - XIIe siècles (voir par exemple, Dominique Barthélemy, La mutation de l'an mil a-t-elle eu lieu ?, Fayard, 1997).
      Malgré la vigueur de ces critiques, Robert Moore n'hésite pas dans ce livre à affirmer que l'Europe connut au cours des XIe et XIIe siècles sa première révolution, au sens où ce serait à cette époque qu'elle serait véritablement née des mutations affectant le monde post-carolingien. Moore dépeint par conséquent une société en pleine restructuration. On voit ainsi l'Église chercher à renforcer son pouvoir et à assurer son autonomie, en se réformant et en faisant appel à la ferveur populaire. On voit les structures familiales se modifier et garantir la transmission de l'héritage au fils aîné, avec obligation faite aux cadets d'entrer au monastère ou de choisir le métier des armes. On voit la distinction entre hommes libres et serfs se renforcer et se généraliser. C'est-à-dire qu'on voit se mettre en place les pouvoirs seigneuriaux, et cela avant que les structures étatiques ne reprennent de l'ascendant. Et, bien sûr, on assiste à l'essor de la vie urbaine et au développement de la culture savante qu'accompagne la naissance des universités. Etc.
      Peut-on pour autant considérer que ces transformations aient à ce point bouleversé rapidement la société qu'elles constituent une « révolution » au cours de laquelle l'Europe aurait acquis pour la première fois la physionomie qui allait pour des siècles être sa marque distinctive ? Ce livre multiplie les exemples et les comparaisons pour nous en convaincre. Mais comme souvent avec les problèmes de continuité et de discontinuité en histoire, une position est d'autant plus sujette à débat qu'elle est tranchée…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 121, novembre 2001.

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