Compte rendu du livre :
Le Scepticisme au XVIe et au XVIIe siècles.
Le retour des philosophies antiques à l'âge classique (Tome II),de Pierre-François Moreau (ed),
Albin Michel (Idées), 2001.On oppose souvent le doute et la croyance, comme si le premier venait ruiner la seconde, ou du moins la mettre à mal. C'est d'ailleurs en s'inspirant de ce schéma que pendant longtemps fut présenté la redécouverte des sceptiques grecs au XVIe siècle, et ses retombées. On racontait ainsi qu'après avoir été singulièrement absent pendant le Moyen Âge, l'esprit critique, revigoré par ces lectures, aurait commencé par mettre en doute les croyances religieuses et le rôle de l'Église, pour finalement libérer la pensée des mille et une contraintes séculaires qui pesaient sur elle. Mouvement qui aurait conduit tout droit aux Lumières que revendique, depuis lors, toute pensée qui se veut moderne. En bref, cette histoire racontait la longue et épique lutte du doute contre la foi, et de l'esprit critique contre le dogmatisme.
Toutefois, en 1979, Richard Popkin, en publiant son Histoire du scepticisme d'Érasme à Spinoza (trad. française 1995), montra tout ce qu'avait de simpliste ce schéma et cette histoire. En étudiant de près ceux qui, au XVIe et au XVIIe siècles, s'étaient inspirés des sceptiques de l'Antiquité, Popkin défendit en effet l'idée que ces penseurs n'étaient en rien des athées ou des ennemis de l'Église, mais au contraire des catholiques en lutte contre la Réforme. Les arguments sceptiques leur servaient tout simplement à faire vaciller toute affirmation dogmatique pour laisser place à leur foi dans le Christ. Par exemple, là où Luther affirmait que tout chrétien devait être certain de ce qu'il affirmait, Érasme répondait que « tout, dans le monde, est si obscur et si variable qu'il est impossible de rien savoir de certain » ; à la suite de quoi il pouvait recommander de s'en remettre à l'Église. De même, en sapant les certitudes du savoir, le sceptique pouvait s'en prendre au dogmatisme de l'athée tout en se sentant, quant à lui, libre de croire...
Vingt ans après sa publication, le livre de Popkin s'avère toujours aussi stimulant en nous rappelant que le scepticisme est d'abord une critique du dogmatisme, notamment de la science et de la philosophie. Certes, il a été nuancé et critiqué depuis lors sur tel ou tel point, mais il n'a pas été pour autant remis fondamentalement en cause. C'est, en tout cas, ce que pourront constater ceux qui voudront approfondir la question en lisant ce recueil de textes, issu d'un colloque qui abordait le même thème.Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 121, novembre 2001.
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