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Compte rendu du livre :

The Myth of Persecution

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How Early Christians Invented a Story of Martyrdom,

de Candida Moss,

Harper One, 2013.
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       Quand on évoque la vie des Chrétiens au sein de l’Empire romain avant la conversion de l’Empereur Constantin, des images de persécutions viennent rapidement à l’esprit : des centaines, voire des milliers d’hommes et de femmes jetés aux lions dans des arènes ; d’autres décapités, brûlés vifs, ou soumis à toutes sortes de tortures. On imagine aussi ces exécutions cruelles comme des spectacles offerts par les autorités romaines à une foule de citoyens avides de sang. Ce qui laisse penser que les Chrétiens vivaient au sein d’une population hostile toujours prête à les dénoncer ; raison pour laquelle ils devaient constamment pratiquer leurs rituels en cachette.
       Selon l’historienne Candida Moss, ces persécutions à l’encontre des Chrétiens au début de notre ère seraient toutefois un mythe inventé et entretenu par les Chrétiens eux-mêmes. Qu’il y ait eu des Chrétiens exécutés dans des circonstances effroyables ne fait pas de doute. La cruauté des châtiments était courante à l’époque. Mais les Chrétiens n’étaient pas les seules victimes de cette vindicte et ils ne l’étaient pas nécessairement en raison de leur religion. Qu’il y ait eu autant de martyrs Chrétiens que le laisse entendre les récits, pour la plupart postérieurs aux événements, est en tout cas très discutable, comme l’est encore plus l’idée que les Chrétiens aient été systématiquement persécutés par les autorités romaines.
       Pour le montrer, l’auteur reprend les sources écrites et fait la part de ce qui relève de l’exagération, de l’invention et de la fabulation. On comprend alors que le récit du martyre de tel ou tel Saint est un genre littéraire en soi qui n’a pas besoin de s’appuyer sur une persécution réelle pour prendre forme. Voici un exemple parmi tant d’autres : le martyre de Polycarpe de Smyrne, censé avoir eu lieu au milieu du iie siècle. Il est décrit dans une lettre rédigée par un prétendu témoin de l’événement. Or le récit prend modèle sur celui de la Passion : Polycarpe se retire en dehors de la ville pour prier, y rentre à dos d’âne, est trahi par un proche, arrêté par un certain Hérode, vilipendé par des Juifs haineux et, lors de son exécution sur le bûcher, poignardé dans le flanc. Après avoir aussi relevé nombre d’incohérences historiques dans ce récit, Moss ne peut que conclure à son inauthenticité.
       Pourquoi inventer de telles légendes ? La raison est relativement simple. Sur le modèle christique, ces fabulations servaient à attribuer aux Chrétiens une droiture qui était, par la même occasion, sous-entendue absente chez les adeptes des autres religions : accepter la mort et la torture plutôt que d’abjurer sa foi n’est-ce pas une preuve de son intégrité ? En suggérant que tous ces Chrétiens héroïques n’avaient pu trouver la force d’affronter stoïquement leurs supplices que parce qu’ils avaient découvert le vrai Dieu, les auteurs de ces textes cherchaient aussi à accréditer la véracité du credo auquel adhéraient les martyrs.
       L’auteure montre d’ailleurs que cette posture rhétorique du persécuté est encore utilisée de nos jours, notamment aux États-Unis par de nombreux Chrétiens hostiles au mariage homosexuels et à l’avortement. Le problème est que cette « arme » rhétorique revient à jeter le blâme sur ses opposants et à empêcher tout débat constructif. Aussi l’auteure ne se contente-t-elle pas de remettre en cause un mythe vieux de près de 2000 ans, elle invite, Chrétiens et autres, à éviter toute rhétorique de la persécution puisque cette dernière nuit au dialogue.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 263, octobre 2014.

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Autre livre à signaler :

— Bart D. Ehrman, How Jesus Became God. The Exaltation of a Jewish Preacher from Galilee, Harper One, 2014.