Publié dans   

 

Compte rendu du livre :

Marx, Engels et le singe,

de Bernard Naccache,

L'Harmattan (Ouverture philosophique), 2000.

      L'idée que l'homme descend d'un être simiesque ne remonte pas à Darwin. Bien avant L'origine des espèces, qui date de 1859, des scénarios d'une telle transformation avaient déjà été formulés. Mais ce qui était nouveau avec ce livre était l'idée que tous les êtres vivants avaient des ancêtres communs, et que le processus de différenciation des formes vivantes et de leur évolution s'effectuait principalement suivant deux principes : variations aléatoires et sélection naturelle. En tout cas, d'aucuns estimèrent tout de suite que cette nouvelle théorie permettait d'affirmer de façon convaincante que l'homme descendait du singe  ; bien que Darwin était resté muet à ce sujet dans ce premier livre, et bien qu'en toute rigueur sa théorie impliquait uniquement que l'homme et le singe avait un ancêtre commun. Qu'importe. Autant l'idée choqua les croyants, autant elle séduisit leurs adversaires.
      Parmi ceux-ci, il y avait Marx et Engels. Ainsi, à peine un mois après la publication du livre de Darwin, le second écrivait au premier pour partager avec lui le plaisir de voir qu'avec un tel ouvrage la théologie était complètement démolie. Et en plus d'être une arme contre les croyances religieuses, ils voyaient également la théorie de l'évolution — selon les mots de Marx — comme la « base de la lutte historique des classes ». D'où le grand intérêt qu'ils manifestèrent pour ce livre.
      Cependant, à l'enthousiasme initial allait rapidement succéder des réserves, puis de fortes critiques. Comme nous le rappelle ici Bernard Naccache, à propos de la figure du singe et du processus d'hominisation, nos deux penseurs acceptèrent le darwinisme pour le matérialisme qui le sous-tendait et pour l'importance que les processus historiques jouaient dans la vision du monde qui en découlait. Mais ils prirent aussi leurs distances par rapport au principe de sélection naturelle, auquel ils substituèrent « le travail comme mécanisme différenciateur dans le passage du singe à l'homme ». Et au lieu d'accepter une part de contingence dans la filiation des espèces comme le faisait Darwin, ils conçurent une évolution qui suivait des étapes nécessaires. On voit ainsi que Marx et Engels ne surent pas intégrer les idées fondamentales de Darwin, tout simplement parce qu'elles étaient incompatibles avec leur vision dialectique de l'histoire.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 118, juillet 2001.

Pour acheter ce livre : Amazon.fr