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Compte rendu du livre :

Soldaten. On Fighting, Killing and Dying.
The Secret Second World War Tapes of German POWs,

de Sönke Neitzel et Harald Welzer,

Simon & Schuster, 2012.

Comment une telle barbarie a-t-elle été possible ? Voilà la question que tout le monde s’est posée après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Une réponse s’imposa rapidement. La plupart des 18 millions de soldats enrôlés dans l’armée allemande, la Wehrmacht, étaient des hommes honorables, qui avaient agi par sens du devoir et par soumission à l’autorité. Les atrocités étaient de la responsabilité des SS, de la Gestapo et des Nazis en général. C’étaient eux les coupables. C’étaient eux qui avaient entrainé leur pays dans la barbarie.
       Cette interprétation, relativement consensuelle, permit à l’Allemagne de l’après-guerre de se reconstruire sans trop de culpabilité. Elle a toutefois commencé à se lézarder, notamment suite à la publication des Bourreaux volontaires de Hitler (1997). Dans cet ouvrage, l’historien Daniel Goldhagen affirmait que c’était l’antisémitisme de la population allemande, beaucoup plus fort que celui des autres nations européennes, qui avait conduit au génocide des Juifs. Rejetée par beaucoup d’historiens, la thèse a suscité une très forte polémique en Allemagne.
        Or voici un nouvel ouvrage qui relance le débat sur les origines de la barbarie allemande. Il est élaboré à partir d’un document exceptionnel. En 2001, l’historien Sönke Neitzel découvre par hasard les retranscriptions, depuis longtemps oubliées, de conversations entre prisonniers de guerre allemands, secrètement enregistrées par les services secrets britanniques. Face à cette extraordinaire découverte, l’historien fait appel à un chercheur en psychologie sociale, Harald Welzer, pour dépouiller, analyser et donner un sens à ces « voix » du passé qui se livrent à l’état brut. Le livre qu’ils offrent tous deux aujourd’hui est le fruit de ce long travail de dépouillement et d’interprétation.
       De ces conversations, plusieurs impressions se dégagent. D’abord, il apparaît que beaucoup de soldats ont commis sans hésiter des actes d’une extrême cruauté : que ce soit des meurtres en série d’enfants, de femmes, de vieillards, de civils, ou des viols dans des conditions abominables. À l’encontre d’une idée reçue, on découvre donc que la plupart des soldats ne sont pas passés progressivement, à force d’endurer les terribles conditions de la guerre, à la violence extrême. Dès le début du conflit, la cruauté était présente. Ensuite, très peu d’idéologie transparaît dans les propos des prisonniers. Quand ceux-ci parlent de leurs actions sur le front, c’est en termes d’efficacité. Il semble que les soldats aient tout simplement transposé les valeurs de leur vie professionnelle à une situation de guerre. Pas question donc d’avoir des états d’âme. Concernant l’extermination des Juifs, les retranscriptions montrent que les soldats étaient plus ou moins au courant. Mais c’était pour eux anecdotique. Enfin, ce qui glace le plus le sang dans ces retranscriptions, c’est de voir à quel point les soldats ont parfois pris du plaisir à violer, tuer, massacrer.
       Effectuant des comparaisons avec des témoignages provenant de soldats impliqués dans d’autres conflits (Guerres du Vietnam, de Bosnie, d’Irak, etc.), les deux auteurs en arrivent à la conclusion qu’une certaine cruauté se retrouve dans toute situation de guerre. Du coup, selon eux, le déchainement d’une violence extrême n’est plus l’aberration à expliquer, mais une potentialité partout présente dont il faut comprendre pourquoi elle ne se déclenche pas toujours avec la même intensité en temps de guerre. Troublant…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 247, avril 2013.

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Autre livre à signaler :

— Mary Fulbrook, A Small Town Near Auschwitz. Ordinary Nazis and the Holocaust, Oxford University Press, 2012.