L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Defending Biodiversity
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Environmental Science and Ethics,
de Jonathan A. Newman, Gary Varner et Stefan Linquist,
Cambridge University Press, 2017.

La plupart des gens s’inquiètent de la baisse de la biodiversité sur Terre. Mais en quoi cette diminution est-elle un problème ? Pourquoi faudrait-il défendre le monde vivant dans toute sa diversité ? Pour les trois auteurs de ce livre, il y aurait deux types d’arguments en faveur d’une telle protection. Il faudrait défendre la biodiversité soit pour les avantages que nous en tirons (dans ce cas, la biodiversité possèderait une valeur instrumentale), soit pour les espèces vivantes elles-mêmes (dans ce cas, il faudrait que ces espèces aient une valeur intrinsèque). Concernant le premier point, il est clair qu’un trop grand déclin de la diversité des espèces animales ou végétales aurait des effets délétères sur nos conditions de vie. La valeur instrumentale de la biodiversité est donc à prendre en compte. Mais, comme le remarquent les auteurs, une légère baisses de biodiversité n’a pas nécessairement d’impact négatif – ce serait le cas, par exemple, avec la disparition des ours blancs. Il y a même des situations où elle peut avoir des effets bénéfiques, par exemple quand la disparition de certaines plantes favorise le développement d’autres, plus utiles. Une défense tous azimuts de la biodiversité pour des motifs utilitaires n’est donc pas recevable.

Reste que l’on peut considérer que la biodiversité possède une valeur intrinsèque et que, en tant que telle, doit être protégée quand bien même nous n’en tirons aucun profit. Mais d’où proviendrait cette valeur intrinsèque ? En général, les environnementalistes s’accordent à reconnaître que la sensibilité est une caractéristique suffisante. Tout organisme capable de ressentir du plaisir, de la douleur, d’avoir des émotions et de se projeter dans le futur a un intérêt à continuer à vivre. En ce sens, la plupart des animaux (du moins, les vertébrés) ont une valeur intrinsèque. Mais ce n’est pas le cas des plantes prises individuellement ou des espèces elles-mêmes, voire des écosystèmes. Si un ours blanc possède ainsi un intérêt à ne pas mourir – mais pas plus que les phoques qu’il mange –, l’espèce « ours blanc » n’a aucun intérêt à persister. Conscients que le critère de la sensibilité ne permet donc pas de justifier la défense des espèces en tant que telles, certains environnementalistes estiment qu’il est naturel d’élargir successivement le cercle de la considération morale, de la famille, au village, à la nation, à l’humanité, à l’ensemble des animaux puis au vivant. L’idée reste toutefois très vague et, surtout, est inopérante pour gérer des situations de conflit. Par exemple, elle ne permet pas de savoir s’il est légitime ou non d’abattre des herbivores pour protéger une espèce de plantes qui risque, sans cela, de disparaître. On pourrait aussi considérer que certaines espèces méritent d’être protégées simplement parce qu’elles sont belles, exactement comme on le ferait pour des œuvres d’art. Mais, comme le montrent les trois auteurs, une telle approche tombe facilement dans l’arbitraire.

Au final, ces trois auteurs qui voulaient mettre en avant un devoir de défense de la biodiversité arrivent, après avoir analysé en détails tous les arguments en faveur de l’existence de ce devoir, à une conclusion en demi-teinte. Oui, il faut veiller à ce que la biodiversité ne baisse pas trop, ne serait-ce que pour des raisons utilitaires. Mais la vénération pour la biodiversité qui s’exprime de nos jours dans beaucoup de discours environnementalistes leur paraît finalement irrationnelle.

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 305, juillet 2018.


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Autre livre à signaler :

— Chris D. Thomas, Inheritors of the Earth. How Nature Is Thriving in an Age of Extinction, Allen Lane, 2017.