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Compte rendu du livre :

La Fabrique d'une nation.
La France entre Rome et les Germains,

de Claude Nicolet,

Perrin (Pour l'histoire), 2003.

      La France s'est souvent penchée sur ses origines. Par simple curiosité, ou, plus fondamentalement, pour y lire à chaque époque le sens des événements présents. Adoptant implicitement l'idée que tout être, qu'il soit individuel ou collectif, était moins modelé progressivement par sa culture et son expérience que donné une fois pour toutes, nombreux furent en effet ceux qui ont considéré que tout l'avenir de la nation était, d'une certaine manière, déjà contenu dans ses origines. Encore fallait-il s'entendre sur ce qu'étaient ces dernières. Ce qui fut loin d'être le cas tant, en ce domaine, les opinions ont régulièrement varié au cours de l'histoire.
      Comme nous le rappelle ici Claude Nicolet, les Français ont alternativement prétendu descendre des Troyens, des Francs ou des Gaulois, et ont même parfois élaboré des théories selon lesquelles les Troyens et les Francs descendaient eux-mêmes des Gaulois ! Les débats les plus passionnés apparurent au XVIIIe siècle quand l'alternative « Francs ou Gaulois » se mit à véhiculer l'idée conflictuelle que la France était constituée de deux peuples, voire, de deux races : d'un côté, la noblesse qui descendait des Francs conquérants ; d'un autre côté, la roture qui descendait des Gaulois conquis. Vision des origines qui fut bien sûr explosive lors de la Révolution française et qui allait encore jouer un rôle au XIXe siècle. Mais au centre de toutes ces spéculations sur les « grands ancêtres » planait toujours la question de Rome. Se rattacher aux Romains, qui avait été les maîtres incontestés du « monde », fut en effet pour la monarchie une façon de justifier son pouvoir. Ce fut également, pour nombre de Français, une façon de prétendre qu'il leur revenait de porter haut le flambeau de la civilisation qu'avait incarnée Rome. Aussi peut-on dire que la nation fut régulièrement partagée entre les héritages romains, germains et gaulois.
      Mais, aussi précis soit-il, le propos de Nicolet n'est pas vraiment de décrire en détail l'ensemble de ces interprétations sur l'origine des Français, comme a pu le faire pour la période médiévale Colette Beaune au début de son livre, Naissance de la nation France (Gallimard, 1985). Ce parcours historiographique n'est là que pour nourrir une méditation sur la formation de la nation française qui invite finalement à prendre ses distances avec de tels discours. C'est que, pour Nicolet, le seul fondement légitime d'une nation c'est, au bout du compte, le « vouloir vivre ensemble ».

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 144, décembre 2003.

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