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Compte rendu du livre :

Out of our heads.
Why you are not your brain,
and other lessons from the biology of consciousness
,

d'Alva Noë,

Hill and Wang, 2009.

      Où siège l'esprit ? De Descartes aux neuroscientifiques modernes, on retrouve régulièrement la même réponse : dans le cerveau. D'où l'idée actuellement très répandue que pour comprendre les états de conscience (sensation, perception, réflexion, etc.), il suffirait d'étudier la configuration et la dynamique du cerveau. C'est d'ailleurs cet organe qui définirait notre identité. Contre cette idée, Alva Noë défend dans ce livre la thèse que la conscience n'est pas quelque chose qui réside en nous : c'est une manière d'être dans le monde. Ainsi, selon ce philosophe, nous ne sommes pas notre cerveau : nous sommes des êtres vivants, avec certes un cerveau mais aussi un corps, connectés à un environnement. Du coup, on ne pourrait expliquer la conscience comme on explique la digestion.
      Pour illustrer sa thèse, Noë propose plusieurs analogies. Par exemple, contre une tentation de réduire la vie aux processus chimiques ou métaboliques présents dans les organismes vivants, il objecte que la vie n'est pas quelque chose qui se trouve à l'intérieur d'un organisme. Elle est un processus d'interaction particulier qu'entretient un organisme avec son environnement. Autre exemple : qu'est-ce qui fait qu'un morceau de papier représente « un dollar » ? Là encore, il serait vain de chercher la réponse uniquement dans la constitution physique de ce bout de papier. Sa valeur monétaire dépend certes de cette constitution mais provient avant tout du rapport qu'il entretient avec un ensemble de conventions et d'institutions qui lui sont toutes extérieures. Il en irait de même de la conscience. Comment peut-on croire qu'elle réside dans le cerveau ?
      Cette thèse de l'extériorité de la conscience n'est pas nouvelle. Mais Noë a le mérite de l'exposer avec clarté et, surtout, de montrer comment de nombreuses expériences en psychologie expérimentale et en neurobiologie ne semblent avoir de sens que si l'on regarde au-delà de la seule activité neuronale. Par là même, Noë lance un véritable défi à des neurosciences qui laissent entendre depuis des années que les progrès considérables dans les techniques d'observation du cerveau et dans la connaissance des mécanismes cérébraux vont bientôt permettre de comprendre le fonctionnement de la conscience. Gageons que les neuroscientifiques portés par cette ambition seront tentés de lui adresser des critiques techniques sur ses interprétations de tel ou tel phénomène.
      Indépendamment de ces éventuelles querelles de spécialistes, la plus grande objection à laquelle doit faire face Noë provient probablement de l'expérience du rêve. Si ma conscience n'est pas dans mon cerveau, mais est mon mode d'être au monde, comment expliquer que dans mes rêves, où je suis coupé du monde, j'ai apparemment les mêmes états de conscience que lorsque je n'en suis pas coupé ? Cela ne prouve-t-il pas que mes états de conscience sont internes à mon cerveau ? Noë a bien sûr anticipé cet argument classique. Il le récuse en soulignant entre autres qu'une expérience dans un rêve n'est jamais identique à celle que l'on fait en état d'éveil (notamment, la seconde, contrairement à la première, est répétable). Cette différence tiendrait au fait qu'une expérience en état d'éveil est en prise directe avec le monde, qui est plus stable que nos états internes. Soit ! Mais Noë ne dit pas de quoi l'expérience du rêve est l'expérience.
      Alors ? La conscience est-elle interne ou externe à notre cerveau ? La réponse n'est pas simple. Une chose est sûre. Il ne faut pas hésiter à sortir certaines idées reçues de sa tête pour aller lire ce livre très stimulant.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 208, octobre 2009.

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