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Compte rendu du livre :

Alors l'un devint deux.
La question du réalisme en physique et en philosophie des mathématiques,

de Roland Omnès,

Flammarion (Nouvelle Bibliothèque Scientifique), 2002.

      Les physiciens utilisent les mathématiques pour décrire le monde et faire des prévisions. Et ça marche ! Même plus, il semble y avoir une véritable consubstantialité des mathématiques et des lois de la physique. On ne s'étonne peut-être pas assez de ce qu'une discipline, qui se développe sans se référer à la réalité empirique, y adhère de si près. Après tout, on aurait pu imaginer que les mathématiques ne soient qu'un jeu de l'esprit et ne s'appliquent pas au monde matériel. Mais ce n'est pas le cas. Aussi, pour expliquer cet accord stupéfiant, peut-il être tentant de considérer que le monde matériel n'est que le reflet d'un monde mathématique. C'est ce que l'on appelle, en philosophie des mathématiques, le réalisme, ou platonisme. C'est, estiment certains, la seule hypothèse qui ne fasse pas de l'accord entre les mathématiques et la réalité empirique un miracle.
      Cette conception pose toutefois plus d'un problème ; notamment la façon dont l'esprit humain aurait accès à ce monde mathématique, avec lequel il n'a aucune prise directe, reste énigmatique. Mais pour Roland Omnès, c'est néanmoins vers ce type de conception qu'il faut s'orienter. L'originalité de son propos est toutefois double. D'abord, il ne réduit pas la réalité matérielle à une émanation du monde mathématique, mais conçoit la réalité sous deux formes distinctes, l'une physique, l'autre mathématique ; ou plus exactement il considère qu'il y a d'un côté le logos, dont les mathématiques seraient une représentation, et qu'il y a d'un autre côté la physis, dont les lois de la physique ne seraient aussi qu'une représentation. C'est ce que l'on peut appeler un biréalisme.
      L'autre originalité d'Omnès consiste à défendre sa position en s'appuyant sur les orientations récentes de la physique. Par exemple, pour montrer que les mathématiques ne peuvent pas dériver de la réalité empirique, il souligne que les lois de la mécanique quantique font intrinsèquement référence à une multiplicité de possibilités là où l'objet empirique, décrit par ses mêmes lois, se caractérise par l'unicité de son état. L'argument est-il valable ? On pourrait en discuter. Mais cela ne gâche en rien l'intérêt du livre, puisque Roland Omnès cherche ici, avant tout, à faire découvrir les idées qu'il développe, au-delà du cercle des spécialistes. D'où la clarté et la simplicité du style.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 129, juillet 2002.

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