Publié dans   

 

Compte rendu du livre :

Un Éternel Treblinka.
Des abattoirs aux camps de la mort,

de Charles Patterson,

Traduit de l'anglais par Dominique Letellier,
Calmann-Lévy, 2008.

      Les abattoirs ne sont rien d'autre que des camps d'extermination, comme ceux où six millions de Juifs ont péri durant la Seconde guerre mondiale. Même cruauté, même indifférence à la souffrance, même logique meurtrière. Telle est la thèse provocatrice de Charles Patterson dans ce livre troublant. Certains trouveront la comparaison outrancière, donc sans pertinence. Du coup, ils l'évacueront d'un revers de main. Ils auraient tort. Patterson défend en effet avec subtilité cette comparaison entre abattoirs et camps de la mort. D'abord, il montre de façon détaillée que l'on retrouve les mêmes procédés d'extermination (mêmes modes d'acheminement des victimes par convois, mêmes ruses pour qu'elles ne s'effraient pas avant d'être exécutées, mêmes procédés pour désensibiliser les bourreaux, etc.). Sur un plan technique, l'industrie de la Shoah n'est finalement pas très différente de celle de la viande : toutes deux rivalisent d'efficacité et de cruauté (à ce propos, il ne faut pas manquer les pages où Patterson décrit les conditions effroyables dans lesquelles se trouvent les animaux avant d'être abattus). Ensuite, Patterson montre que cette ressemblance n'a rien de fortuite : les nazis se sont tout simplement inspirés des processus industriels d'abattage des animaux apparus au XIXe siècle aux États-Unis. Le chemin d'Auschwitz a donc commencé à l'abattoir.
      Certains rétorqueront immédiatement que cette ressemblance formelle et cette filiation ne sont pas suffisantes pour assimiler les deux industries, puisque les victimes sont, d'un côté, des animaux, de l'autre, des êtres humains. Autrement dit, on peut massacrer les premiers puisque ce ne sont que des animaux. Patterson anticipe cette objection en montrant que l'extermination des Juifs n'a pu se perpétuer que parce qu'on se disait qu'ils n'étaient que des Juifs. Et à ceux qui prétendent que les considérations morales n'ont pas à s'étendre aux animaux, Patterson montre également que c'est exactement l'argument que les nazis avançaient à propos des Juifs. En somme, pour Patterson, l'attitude de ceux qui refusent de dénoncer l'industrie de la viande est similaire à celle de tous ces Allemands qui ont laissé se perpétuer l'extermination des Juifs.
      La Shoah étant un sujet sensible, la thèse peut choquer. Mais Patterson montre longuement que se sont des Juifs eux-mêmes qui ont les premiers établi un parallèle entre la manière dont les nazis les avaient traités et celle dont nous traitons les animaux. Le livre est d'ailleurs dédié au prix Nobel de littérature Isaac Bashevis Singer qui avait comparé la condition animale à « un éternel Treblinka ». À méditer quand vous passerez à table…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 191, mars 2008.

Pour acheter ce livre : Amazon.fr