Les Français dénoncent volontiers les inégalités de patrimoine issues de l’héritage, tout en rejetant l’idée d’une augmentation de l’impôt sur les successions. Cette contradiction, selon la philosophe Mélanie Plouviez, traduit un déficit de réflexion collective sur les différentes façons d’envisager l’héritage. Le manque est d’autant plus frappant qu’au 19e siècle cette question suscitait de riches discussions, allant bien au-delà des seules considérations fiscales sur les seuils et les taux d’imposition. Ces débats visaient à repenser les rapports sociaux et à transformer en profondeur la société.
Loin d’être vue comme une évidence, la transmission patrimoniale était ainsi l’objet de vives interrogations. Pourquoi des biens privés devraient-ils rester dans la famille après la mort de leurs détenteurs ? Ne pourrait-on pas en faire bénéficier d’autres personnes, voire la collectivité tout entière ? Ne serait-il pas plus juste de les réaffecter à des usages publics, comme l’éducation, la santé ou les services sociaux ? Pour nombre de penseurs de l’époque, l’héritage devait ainsi offrir l’occasion de socialiser une partie de la propriété privée – sans nier le droit de propriété, mais en rappelant qu’il s’éteint naturellement avec la mort de son titulaire.
Tandis que les inégalités patrimoniales s’accentuent de nos jours et que l’impôt sur les successions reste un sujet sensible, cet examen des débats du 19e siècle pourrait aider à relancer notre réflexion sur l’héritage. En exhumant des propositions oubliées, l’autrice ne prône toutefois pas un modèle particulier, mais appelle à rouvrir l’imaginaire politique. Elle suggère quand même en creux que la mort des citoyens pourrait être saisie comme un moment propice à la redistribution de la richesse. Reste à savoir si le désir de transmission filiale n’est pas plus fort que celui de redistribution et si la socialisation, post-mortem, des biens de production ne conduit pas à une certaine inefficacité économique.
Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines,
379, juin 2025.
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