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Compte rendu du livre :

La Logique de la découverte scientifique,

de Karl R. Popper,

Traduit de l'anglais par Nicole Thyssen-Rutten et Philippe Devaux,
Préface de Jacques Monod,
Éditions Payot, 1973 [1934].

      En 1919, une équipe de physiciens observa comme l'avait prédit Albert Einstein que les rayons lumineux étaient courbés à proximité du Soleil. Cette corroboration de la théorie de la relativité générale frappa le jeune viennois qu'était alors Karl Popper (1902-1994). S'appuyant sur l'exemple d'Einstein qui avait déclaré que sa nouvelle théorie devait être incorrecte si le phénomène prédit n'était pas observé, Popper avança que le propre d'une théorie scientifique était de prévoir des expériences qui pourraient éventuellement la réfuter (ou la falsifier). En revanche, les autres théories, que Popper appela pseudo-scientifiques, et dont la psychanalyse et le marxisme étaient selon lui des exemples typiques, éviteraient de donner prise aux réfutations, que ce soit en restant très vagues ou en multipliant les hypothèses auxiliaires ad hoc.
      La défense de cette idée d'une démarcation entre science et pseudo-science, fondée sur la notion de réfutabilité, allait se trouver étroitement associée, dans ce premier livre publié à Vienne en 1934, à une critique de l'induction. À la suite de David Hume, Popper faisait en effet remarquer qu'un nombre, aussi grand soit-il, d'observations «  vérifiées » ne permet pas de conclure à la vérité d'une proposition universelle, comme une loi physique. En revanche, certaines observations peuvent nous autoriser à décréter qu'une proposition universelle est fausse. Ainsi, la proposition « Tous les cygnes sont blancs » n'est pas vérifiable, mais réfutable (il suffit de trouver un cygne noir). Qui plus est, Popper rejetait l'idée que les théories scientifiques proviennent directement de l'observation, puisque selon lui l'imagination joue un rôle non négligeable dans leur élaboration. L'important pour assurer la scientificité des théories est uniquement qu'elles soient réfutables. Ce qui signifie bien sûr qu'elles sont condamnées à rester définitivement conjecturales.
      Cet ouvrage s'en prenait directement aux néo-positivistes du Cercle de Vienne qui voulaient bâtir une véritable « conception scientifique du monde », prétendument vérifiable. Or, une fois détruit le « mythe » de la vérification, Popper pouvait aisément souligner les illusions qui caractérisaient un tel projet. Mais, au-delà de cette controverse, ce livre critiquait toute une conception de la science basée sur l'idée qu'il est possible de confirmer des théories.
      Traduit en anglais en 1959 et en Français en 1973, il devint l'un des plus célèbres ouvrages de philosophie des sciences. Il rencontra même un écho très favorable chez certains scientifiques. Ironiquement, c'est de l'histoire des sciences qu'allaient naître de sérieuses objections. En montrant, par exemple, que les scientifiques étaient loin de toujours chercher à réfuter leurs théories, certains historiens des sciences considérèrent que le critère de démarcation de Popper était trop sévère. Ce qui n'empêche pas son insistance sur la dimension critique de la science d'être encore très appréciée. Mais cela montre au moins qu'il n'est toujours pas évident de définir le propre d'une théorie scientifique…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, Hors-série 42,
« La bibliothèque idéale des sciences humaines », 2003.

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