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Compte rendu du livre :

Le Mal.
Homme coupable, homme souffrant,

de Jérôme Porée,

Armand Colin (Collection « U »), 2000.

      Que peut-on dire du mal ? Question sans objet, selon certains, puisque cette notion ne recouvrerait rien de réel. Ainsi la mort d'un enfant serait un événement sans signification : il n'y aurait rien à en dire, rien à justifier. De façon similaire, on pourrait considérer avec Nietzsche que le « mal » n'est qu'une abstraction qui s'opposerait au libre déploiement de la vie. Il resterait toutefois, comme le souligne avec raison Jérôme Porée dans ce livre, à reconnaître et à identifier au cœur même de la vie l'origine de cette négation de la vie. Autrement dit, rejeter toute référence à une idée de mal, parce qu'elle trahirait une négation des forces vitales, reviendrait à nier cette autre force irrépressible qui consiste à distinguer le bien du mal.
      Quant à savoir d'où vient cette dynamique qui oppose la vie à elle-même, l'auteur répond, tout simplement : de la souffrance. Cette « révolte de la vie contre elle-même » précéderait en effet tout jugement de valeur comme toute représentation d'une règle et donnerait ainsi naissance à l'idée du mal qui sous-tend les notions de faute, de châtiment, de justice ou encore de pitié. En mettant ainsi l'accent sur la souffrance physique et en affirmant qu'il y a faute parce qu'il y a souffrance, et non le contraire, l'auteur inverse l'ordre traditionnel de l'analyse du mal.
      Est-ce pour autant que la présence de ce dernier parvient à être justifiée ? Non, bien sûr, mais comme le remarque encore l'auteur, une tâche peut dépasser le pouvoir de la raison et néanmoins présenter l'intérêt d'étendre au maximum les ressources du discours cohérent. De toute façon, c'est plus une phénoménologie de la souffrance qu'une analyse spéculative que nous propose ici l'auteur qui espère ainsi mettre « au jour un sol d'expérience véritablement universel » où s'enracinerait toute pensée sur le mal.
      On reste toutefois dubitatif sur ce livre exigeant qui, après avoir fait référence à tout ce qui a été écrit d'important sur le mal, conclut banalement que ce problème dépasse la réflexion philosophique et qu'il faut toujours lutter contre la violence, parler de la douleur et faire appel à notre sensibilité « religieuse », puisque la souffrance serait « comme une question posée à un Autre ».

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 112, janvier 2001.

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