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Compte rendu du livre :

Beyond Human Nature.
How Culture and Experience Shape Our Lives,

de Jesse J. Prinz,

Allen Lane, 2012.

       Pour expliquer nos comportements, la biologie a le vent en poupe. Même si la plupart des scientifiques ne prennent pas vraiment au sérieux les annonces très médiatiques autour du gène de l'homosexualité, de l'alcoolisme ou de l'infidélité, ils sont nombreux à faire appel à la biologie pour expliquer nos traits psychologiques et nos aptitudes cognitives. Tout y passe, ou presque. Ce sont les différences au test du QI qui sont expliquées par des différences génétiques. Ce sont des connaissances élémentaires, comme le sens des nombres, qui sont attribuées à des facultés innées. C'est notre compétence linguistique qui est censée provenir d'une « grammaire universelle » enracinée dans la structure de notre cerveau. Ce sont les différences psychologiques et cognitives entre les hommes et les femmes qui sont expliquées par la sélection naturelle. Et ainsi de suite. Or, pour le philosophe Jesse Prinz, toutes ces idées ne tiennent pas la route. Selon lui, c'est avant tout la culture et l'éducation, non la biologie, qui explique nos comportements et nos aptitudes cognitives. Certes, un ver de terre ne réussira pas à apprendre la géométrie et un être humain va plutôt courtiser un autre être humain qu'une patate ! Mais, au-delà de ces truismes, la biologie n'a jusqu'à présent, estime Prinz, pas grand à chose à dire.
       Sa thèse est tranchée, mais elle est défendue avec habileté. D'abord, Prinz présente clairement les études censées étayer le rôle prépondérant de la biologie dans nos comportements ou aptitudes. Ensuite, il montre minutieusement soit qu'elles sont discutables sur un plan méthodologique, soit qu'elles ne sont pas conclusives. Ainsi, selon lui, aucune étude ne montre que les différences de QI ont un fondement génétique. Aucune analyse linguistique ou neurobiologique ne révèle que notre capacité à parler repose sur un instinct du langage. Ou encore, pour donner un dernier exemple, aucune étude de psychologie expérimentale ne montre que les bébés ont des facultés cognitives innées. Après cela, pour bien asseoir sa thèse, Prinz montre que nos aptitudes cognitives ou linguistiques peuvent très bien avoir été acquises dans la petite enfance et que nos comportements s'expliquent aisément par des spécificités culturelles ou sociales des sociétés où nous vivons.
       Voici une très courte illustration de cette façon de mettre en cause le primat de la biologie dans les études comportementales. Selon les adeptes de la psychologie évolutionniste, les femmes sont prédisposées biologiquement à être attirées par les hommes riches et influents, alors que les hommes ne pourraient s'empêcher de préférer des femmes jeunes. La raison qu'ils avancent est que les femmes, devant porter leur progéniture, ont besoin d'un partenaire qui les soutienne et les protège ; tandis que les hommes, uniquement soucieux de disséminer leurs gènes, cherchent avant tout des partenaires fécondes, c'est-à-dire jeunes. Pour preuve de la validité de leur thèse, les partisans de la psychologie évolutionniste prétendent, enquêtes à l'appui, que ces préférences sont universelles. Or, allant dans le détail de ces enquêtes, Prinz montre que moins la domination masculine est importante dans une société, plus la différence dans les préférences sexuelles s'estompe. Ce qui lui permet d'avancer que ces modalités de l'attirance sexuelle ne se sont pas inscrites dans les cerveaux à la suite d'un long processus de sélection naturelle, mais qu'elles reflètent des stratégies acquises dès l'enfance dans des situations sociales données. Et voilà le biologique qui passe à la trappe…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 243, décembre 2012.

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Autre livre à signaler :

— Agustín Fuentes, Race, Monogamy, and Other Lies They Told You. Busting Myths About Human Nature, University of California Press, 2012.