L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
The Waterside Ape.
An Alternative Account of Human Evolution,
de Peter Rhys-Evans,
CRC Press, 2020.

Il n’y a pas de doute que les chimpanzés et les hominidés ont évolué à partir d’un ancêtre commun ayant existé il y a 6 ou 7 millions d’années. Mais quelles sont les circonstances ayant conduit les seconds à devenir bipèdes, à avoir un gros cerveau, à perdre leur pilosité, à acquérir un épais tissu adipeux, à développer une capacité à transpirer, à posséder un nez proéminent ? Le scénario classique avance que, en quittant les arbres de la forêt pour la savane, nos ancêtres ont été encouragés à se ternir debout pour voir plus loin dans les hautes herbes. Mais ce scénario n’explique guère les multiples autres caractéristiques d’Homo sapiens. Puis, d’autres singes aussi, comme les babouins, ne vivent plus dans les arbres mais au sol dans la savane. Ils n’ont pourtant pas acquis la bipédie des hominidés ni d’ailleurs leurs autres caractéristiques. C’est pour répondre à cette énigme qu’a été formulée, dans les années 1960, l’hypothèse que les traits propres aux hominidés se seraient développées lors d’une longue période semi-aquatique, au bord de lacs, de marais ou de rivières. Elle a acquis une certaine popularité dans les années 1980 grâce aux livres de l’écrivaine Elaine Morgan, avec notamment Des origines aquatiques de l’homme (1982). Mais cette hypothèse n’a guère été prise au sérieux par la communauté scientifique.

Dans ce livre, Peter Rhys-Evans vient à sa rescousse. Cet otorhinolaryngologiste, c’est-à-dire spécialiste des oreilles, du nez et du larynx (ORL), y analyse en détail les conséquences, pour des grands singes, de séjours prolongés dans des zones aquatiques sur une durée d’un ou deux millions d’années. Le chirurgien explique ainsi comment, passant beaucoup de temps à marcher dans des lacs, des marais ou des rivières, nos ancêtres auraient été obligés d’adopter une position verticale pour garder leur tête au-dessus de l’eau, ce qui leur aurait permis non seulement de devenir bipède mais aussi de développer une meilleure dextérité manuelle que leurs cousins simiesques. Ensuite, leur présence dans l’eau une grande partie de la journée aurait entraîné un changement de leur pilosité et de leur épiderme, pour des raisons de flottabilité, d’aérodynamisme et de régulation thermique. Amenés à nager et à plonger pour se procurer de la nourriture, leur appareil respiratoire se serait adapté pour leur permettre de plus facilement retenir leur respiration sous l’eau. Il en serait de même pour le nez dont la forme actuelle aurait été favorisée parce qu’elle permet plus aisément de ne pas laisser l’eau entrer dans l’orifice nasal. Une nourriture à base de plantes aquatiques, de mollusques et de crustacés aurait également apporté nombre de nutriments importants pour le développement du cerveau. Et ainsi de suite.

Que vaut cette thèse ? Peter Rhys-Evans estime qu’elle sort renforcée d’un demi-siècle de recherche et, surtout, que les objections qui lui ont été adressées ne sont pas valables. Il n’en demeure pas moins qu’elle est toujours aussi peu considérée par les anthropologues. Ce n’est pas une raison pour ne pas s’y intéresser. De fait, on aiguise davantage son esprit critique en étudiant les controverses scientifiques qu’en se contentant de suivre les présentations des théories faisant quasi consensus. Par conséquent, que la théorie du singe aquatique présente ou non des faiblesses, voire des failles irrémédiables, la lecture de ce livre reste une opportunité de réfléchir de manière critique aux différents scénarios de l’origine de l’humanité.

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 327, juillet 2020.


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