Les virus font peur. Il est vrai qu’ils sont responsables de millions de morts chaque année dans le monde. Grippe, rougeole, variole, hépatite B, sida, Ébola, etc. : la liste est longue de toutes les maladies plus ou moins mortelles qu’ils causent. L’actuelle épidémie de coronavirus illustre également leur capacité à déstabiliser l’économie mondiale. Pour cette raison, ils sont souvent dépeints comme des parasites à éviter. Comme ils sont incapables de se reproduire par eux-mêmes, certains spécialistes hésitent aussi à les considérer comme des entités vivantes. Ils seraient donc des êtres à la frontière de l’inerte et du vivant, sans grande valeur. Mais pour le biologiste Frank Ryan, cette vision des virus ne tiendrait pas compte des découvertes récentes qui montrent, au contraire, leur rôle fondamental dans l’évolution de la vie sur Terre.
D’abord, concernant le second point, l’auteur défend la thèse que les virus sont vivants. Certes, ils doivent pénétrer des cellules et utiliser leur machinerie génétique pour se reproduire. En ce sens, ils ne sont pas autonomes. Mais ne peut-on pas dire que, d’une certaine manière, la quasi-totalité des êtres vivants dépendent eux aussi d’autres organismes pour se reproduire ? Il existe même des bactéries qui ont besoin d’être littéralement au sein d’un autre organisme pour se reproduire. Puis, une fois à l’intérieur de leur hôte, les virus luttent pour leur survie dans un monde hostile et, une fois cette bataille gagnée, font tout pour se reproduire. Leur réplication suit alors les instructions codées dans leur propre génome et les nouveaux virus quittent l’hôte pour aller, pourrait-on dire, vivre leur vie. Quant à leur inaction avant qu’ils ne pénètrent une autre cellule, elle ne doit pas être vue comme identique à celle de la matière inerte, mais plutôt comme celle de graines dormantes qui attendent d’être dans un environnement propice pour déployer leurs potentialités. Enfin, n’oublions pas que les virus peuvent mourir. Cela indiquerait bien qu’ils sont vivants.
Ensuite, sur le premier point, l’auteur montre que les virus, loin d’être toujours des parasites, sont bien plus souvent en symbiose avec leur hôte. Cette situation est parfaitement illustrée dans le cas de certaines guêpes qui injectent leurs œufs dans une chenille vivante. Dans cette nurserie macabre, les œufs devraient être détruits par le système immunitaire de la chenille. Mais, avec ses œufs, la guêpe injecte aussi des virus qui les protègent et empêchent la chenille de se métamorphoser en papillon. Les virus forcent ainsi la chenille à servir d’incubateur aux œufs et de nourriture aux larves. Ce type de guêpe et ces virus sont donc des partenaires de vie. Heureusement, ce mutualisme n’est pas toujours aussi cruel. L’auteur s’attache en effet à expliquer comment les gènes des virus peuvent s’intégrer dans le génome de leurs hôtes et participer à l’évolution de ces derniers. Il montre ainsi comment les virus ont joué un rôle fondamental dans l’origine de la vie sur Terre et lors d’étapes marquantes de l’histoire de l’évolution, comme lors du développement du placenta chez les mammifères. Enfin, il souligne à quel point les virus sont omniprésents, que ce soit dans les océans, dans les sols ou dans nos intestins et que, sans eux, la machinerie du vivant ne fonctionnerait plus. Aussi l’auteur en vient-il à considérer que, de la même manière que l’on parle de la biosphère, on pourrait faire référence à la virusphère. En somme, les virus nous font plus vivre qu’ils ne nous rendent malades.
Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines,
336, mai 2021.
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