Compte rendu du livre :
Comment le peuple juif fut inventé.
De la Bible au sionisme,de Shlomo Sand,
Traduit de l'hébreu par Sivan Cohen-Wiesenfeld et Levana Frenk,
Fayard, 2008.L'histoire d'Israël reposerait-elle sur un mythe ? L'idée que les Juifs modernes forment un peuple descendant des anciens Hébreux serait fausse. C'est ce qu'affirme l'historien israélien Shlomo Sand dans ce livre à haute valeur polémique. Selon lui, la diaspora juive ne naquit pas de l'expulsion des Hébreux de Palestine, mais serait issue de conversions successives en Afrique du Nord, en Europe du Sud et dans le Caucase. Et, comble de l'ironie, les descendants les plus directs des anciens Juifs seraient les actuels Palestiniens. De quoi perdre la tête !
L'histoire paraissait pourtant claire. Tout le monde a lu qu'après la destruction de son second temple, en 70 après J.-C., le peuple juif a été contraint à l'exil. S'ensuivit une errance de près de deux mille ans, au cours de laquelle ce peuple aurait réussi à préserver les liens du sang au sein de communautés fermées. Enfin, au XXe siècle, après le génocide nazi, le peuple juif a pu retourner sur sa terre, qui lui revenait au nom de son ancienneté.
Mais voilà, cette version des événements serait fausse. Shlomo Sand n'est pas le premier à l'affirmer. D'autres historiens ont déjà conclu à des conversions massives au judaïsme pour expliquer l'importance de certaines communautés juives. Si l'auteur peut reprendre et radicaliser cette thèse c'est que, depuis deux ou trois décennies, de nombreux travaux ont déconstruit l'histoire traditionnelle des nations, dont celle d'Israël. S'appuyant sur toutes ces recherches, Sand peut montrer comment le « roman national » juif s'est mis en place et continue à se perpétuer : de même que chaque nation européenne a, au XIXe siècle, identifié son histoire à celle d'un peuple ayant des origines lointaines, les Juifs se seraient inventé une histoire qui les rattache à des « grands ancêtres » avec lesquels ils n'avaient en commun que la religion.
Vu la situation géopolitique du Moyen-Orient, cette thèse est bien sûr explosive. Ce n'est pas une raison pour la refuser en bloc. Elle mérite d'être creusée. Cependant, avant de réclamer plus de preuves, on se demandera s'il est vraiment légitime pour un État moderne de faire de l'origine lointaine de ses habitants un argument politique, sauf à cultiver un racialisme suspect.Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 199, décembre 2008.
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