Compte rendu du livre :
The Dark Matter Problem.
A Historical Perspective,de Robert H. Sanders,
Cambridge University Press, 2010.Version française : À la recherche de la matière noire, 2012.
La cosmologie est-elle en crise ? Question apparemment incongrue au regard de l'actuelle prétention des cosmologistes d'avoir percé les secrets du cosmos. Cela dit, en science, on ne reconnaît bien souvent une crise qu'après coup. Y aurait-il donc des signes d'une possible remise en cause de la conception dominante de l'univers ? Disons-le tout net : oui. Par exemple, dans l'actuelle théorie du big bang, 95 % de l'énergie et de la matière de l'univers manque à l'appel. Pour retomber sur leurs pieds, les cosmologistes ont en effet été obligés de postuler l'existence d'une matière et d'une énergie de nature inconnue constituant la quasi-totalité de l'univers, tout en reconnaissant être incapables d'en détecter directement la moindre trace. C'est ce qu'on appelle le problème de la matière noire (« dark matter problem »), qui est présenté dans ce livre suivant une approche historique. Ce problème sera-t-il résolu sans bouleversement majeur de la physique ou de la cosmologie ? Pour l'instant, il n'est bien sûr pas possible de répondre à une telle question. Mais il est très instructif de suivre les errements de la recherche en ce domaine. La matière noire, c'est effectivement l'arlésienne de la cosmologie. On en parle beaucoup depuis 40 ans; on est convaincu de son existence ; mais on ne l'a jamais détectée directement.
L'astronome Fritz Zwicky fut le premier à montrer dans les années 1930 qu'il manquait de la matière dans les amas de galaxies. Ne sachant pas trop quoi en penser, les astrophysiciens prêtèrent peu attention à cette anomalie. Mais elle refit surface dans les années 1970 quand on s'aperçut que les galaxies tournaient plus vite qu'elles auraient dû, à en juger par la masse de leur matière visible. Jusque là, rien de vraiment dramatique. Pourquoi faudrait-il que toute la matière soit visible ? Le problème allait toutefois se corser. Toujours dans ces années 1970, la théorie du big bang assoit son hégémonie. Or s'il existe autant de matière que le suggère la dynamique des galaxies, le big bang est mis à mal. Pour sauver leur théorie de prédilection, les cosmologistes ont donc postulé que cette matière manquante est de nature différente de la matière ordinaire. Cependant, malgré une traque inlassable, personne n'a encore détecté cette matière exotique, ni vraiment justifié son existence d'un point de vue théorique. Alors ? Crise ou pas crise ? Qui sait ? Pour l'instant, on peut seulement spéculer. C'est justement le mérite de ce livre, relativement accessible au non-spécialiste, de donner les outils pour le faire en retraçant pas à pas la façon dont les astrophysiciens ont appréhendé cette énigme.Thomas Lepeltier, Pour la science, 394, août 2010.
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