L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Why Does Inequality Matter ?
de Thomas Scanlon,
Oxford University Press, 2018.

Les inégalités économiques sont souvent considérées comme moralement répréhensibles, du moins quand elles sont importantes. Leur augmentation actuelle indigne même beaucoup de nos contemporains. Mais en quoi est-ce un problème que des personnes possèdent davantage de biens ou d’argent que d’autres ? La richesse des premiers n’affecte en rien la situation des seconds. On peut même penser que ces inégalités proviennent d’une saine et juste compétition, dont globalement tout le monde bénéficie. Les récriminations ne proviendraient donc que d’une forme de jalousie envers les plus talentueux ou les plus méritants. Dès lors, pourquoi s’indigner des inégalités économiques si la pauvreté diminue ?

À cette question fondamentale, Thomas Scanlon, professeur de philosophie à l’université d’Harvard, offre une réponse qui consiste, non pas à montrer que l’égalité est une valeur en soi, mais à exposer six problèmes liés aux inégalités. D’abord, ces dernières peuvent être condamnables si elles s’accompagnent d’un traitement différencié des besoins des personnes selon leur situation économique. Par exemple, il serait injuste qu’une municipalité, toutes choses égales par ailleurs, dépense plus d’argent pour les quartiers aisés que pour ceux qui le sont moins. Les inégalités peuvent aussi être répréhensibles si elles donnent lieu à des inégalités de statut, comme lorsque les personnes défavorisées économiquement ont a subir certaines formes de mépris par le reste de la population. Les inégalités peuvent encore être moralement condamnables si elles donnent aux plus aisés des moyens de contrôle sur la vie de ceux qui le sont moins. L’exemple classique est celui où les organes de presse sont concentrés entre les mains de quelques personnes très riches. Les inégalités peuvent également être contestables si elles rendent difficile pour les plus démunis d’avoir accès aux postes à responsabilités. Une autre raison pour laquelle on peut juger que les inégalités sont répréhensibles est liée à leur tendance à nuire à l’équité des institutions politiques, comme lorsque des lois votées favorisent les plus riches. Enfin, les inégalités économiques peuvent être contestables quand elles résultent tout simplement de mécanismes institutionnels qui ne reposent pas sur des justifications rationnelles.

Cet argumentaire revient bien sûr à prôner une forte redistribution des richesses. Certains objecteront que cette politique égalitariste, loin de supprimer l’injustice, peut en créer à son tour, notamment quand elle en vient à ponctionner très fortement ceux qui ont acquis leurs biens grâce à leurs efforts et mérites. Mais, pour Scanlon, cette critique n’est pas valable car toute accumulation de richesses ne peut se réaliser que dans un système économique qui la rend possible : étant donné que l’on ne devient pas riche tout seul, mais grâce à une société qui crée le condition de notre enrichissement, une personne n’est pas spoliée quand elle est obligée de redonner à cette société une partie relativement importante de ce que cette dernière lui a permis de gagner. Les mécanismes sociaux qui visent à limiter les inégalités ne sauraient donc être considérés comme enfreignant la liberté des plus aisés à s’enrichir encore davantage. Toutefois, même en donnant raison à Scanlon, il reste à déterminer quelles sont les meilleures mesures à mettre en place pour éviter de trop grandes inégalités. C’est peut-être là que résident les plus grandes difficultés…

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 311, février 2019.


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