Compte rendu du livre :
L'Histoire brisée.
La Rome antique et l'Occident moderne,d'Aldo Schiavone,
Traduit de l'italien par Jean et Geneviève Bouffartigue,
Belin (L'Antiquité au présent), 2003.Quelles sont les causes du déclin et de la chute de l'Empire romain d'Occident ? La question est ancienne ; les réponses, fort nombreuses. Si on laisse de côté l'interprétation eschatologique, qui fait référence à une punition divine, ou celle qui compare la fin de l'Empire à l'inévitable destin de toute entité vivante, on peut ranger ces réponses dans quatre catégories : l'Empire romain a sombré par accident ; à cause d'un problème structurel ; parce qu'il s'est suicidé ; ou parce qu'il a été assassiné. Dans le premier cas, il ne faudrait y voir que la conséquence malencontreuse d'une série d'événements contingents et indépendants des forces et faiblesses de l'Empire (mort prématurée d'un Empereur, faiblesse de son successeur, etc.). Dans le deuxième cas, les historiens ont diagnostiqué plusieurs « maladies » possibles (l'Empire avait atteint des dimensions démesurées, son niveau technologique était trop faible, etc.). Selon la troisième interprétation, l'Empire se serait embarqué, à partir d'une époque bien particulière, dans une politique qui conduisit à sa destruction. Enfin, il y a les historiens qui attribuent un rôle déterminant aux « invasions barbares ».
Face à ces quatre interprétations, on peut toutefois avancer que l'image d'un déclin et d'une chute est une métaphore trompeuse à laquelle il faudrait substituer l'idée de transformation. Ainsi l'Empire romain n'aurait jamais sombré : il se serait tout simplement métamorphosé en quelque chose d'autre. Mais, même en faisant crédit à cette objection, il faut reconnaître qu'il y eut de toute façon un moment où l'Empire romain n'exista plus. Et si transformation il y eut, celle-ci ne prit pas le chemin de la modernité. Aussi peut-on remplacer la première question par la suivante : pourquoi y a-t-il eu une bifurcation, et non pas un développement continu entre l'Empire romain et notre modernité (économique, technologique, etc.) ? Autrement dit, pourquoi y a-t-il eu une brisure entre eux et nous ?
C'est là qu'intervient Aldo Schiavone. Pour lui, c'est la faute à l'aristocratie : privilégiant l'acquisition des richesses par le butin à l'investissement « entrepreneurial », et en particulier préférant l'oisiveté au travail (fourni par les esclaves), cette dernière aurait condamné la société romaine dès le IIe siècle à la stagnation économique et technique. Qu'il ne soit pas toujours aisé de comprendre pourquoi la stagnation entraîne le bifurcation n'enlève rien au côté stimulant de ce livre très bien argumenté.Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 142, octobre 2003.
Pour acheter ce livre : Amazon.fr