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Compte rendu du livre :

La libération animale,

de Peter Singer,

Traduit de l’anglais par Louise Rousselle
Présentation de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer,
Petite Bibliothèque Payot, 2012 [1975].

Singer-Liberation-animale

       Comment traiter les animaux ? Cette question, qui relève de la philosophie morale, est au cœur de ce livre de Peter Singer dont beaucoup de ses lecteurs disent qu’il a changé leur vie. Pourtant, l’ouvrage comporte relativement peu de réflexions proprement philosophiques. Il est surtout constitué de longues descriptions d’expériences de laboratoire et d’analyses détaillées des conditions d’élevage des animaux de rente ; il abonde aussi en conseils pratiques pour éviter de faire souffrir inutilement les animaux et offre même des informations sur la diététique, allant presque jusqu’à donner des recettes de cuisine. Ce n’est donc en rien un livre aride, comme tant d’ouvrages de philosophie. Ce qui ne l’empêche pas d’être d’une terrible profondeur philosophique. Car ce qu’il montre à voir parle de lui-même et fait froid dans le dos.
       Que découvre-t-on en effet dans ce livre ? En deux mots, l’existence d’une cruauté effroyable dissimulée derrière les murs des laboratoires, des fermes d’élevage intensif et des abattoirs. Singer n’est pas dans l’outrance. Ses sources principales sont les articles scientifiques écrits par les expérimentateurs eux-mêmes et les revues des professionnels de l’industrie alimentaire. Or ces textes révèlent que les animaux qui tombent entre les mains de ces bonnes âmes se retrouvent presque littéralement en enfer. Difficile en effet de ne pas être bouleversé par ces lapins à qui l’on verse des produits corrosifs dans les yeux (décapant pour four, détachant pour moquette, etc.), par ces petits rongeurs à qui l’on fait ingurgiter des produits tous plus toxiques les uns que les autres, par tous ces chiens ou chats électrocutés jusqu’à ce que mort s’en suive pour tester telle ou telle réaction, par ces poules qui passent leur vie dans des cages si petites qu’elles peuvent à peine bouger une aile, par ces veaux maintenus malades presque à en mourir pour que leur viande reste blanche, par ces vaches que l’on dépèce vivantes, et ainsi de suite.
       Toute personne sensée a envie de crier « Arrêtez le massacre ! ». Pourtant, l’abomination se perpétue. Pourquoi ? Singer identifie une cause principale : le spécisme. Ce mot, formé par analogie avec racisme et sexisme, désigne le fait d’assigner différentes considérations à des êtres sur la seule base de leur appartenance à une espèce, et non pas en fonction de leurs intérêts propres. Les personnes qui font terriblement souffrir les animaux le font ainsi avec l’excuse que leurs victimes ne sont justement pas humaines. Or, pour Singer, si un être souffre, il ne peut y avoir aucune justification morale pour refuser de prendre en considération sa souffrance ; en particulier, il n’est pas acceptable de le faire souffrir sans nécessité. Cet argument implique qu’il faut non seulement boycotter l’industrie de la viande, mais aller jusqu’à devenir végétarien, puisqu’en faisant tuer un animal, juste pour notre plaisir culinaire, nous le faisons immanquablement souffrir sans nécessité. Cet argument implique aussi que soit mis un terme à la quasi-totalité des expérimentations sur les animaux puisque, comme le montre Singer, elles sont loin d’être nécessaires.
       À la fin du XXe et au début du XXIe siècles, l’idée qu’il ne faudrait pas faire souffrir sans nécessité les animaux semble assez répandue. Mais, comme le fait remarquer Singer, la plupart de ceux qui l’acceptent font également tout pour oublier l’horreur sur laquelle reposent leurs petits plaisirs : « Ne me parlez pas de vos histoires d’abattoirs, répète ainsi le carnivore, vous allez gâcher mon repas ! ». Cette situation explique pourquoi le livre de Singer continue à la fois à bouleverser certains de ses lecteurs et à être rejeté de façon virulente par d’autres.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines,
Les Grands dossiers, « Un siècle de philosophie », 29, déc. 2012 - janv.-fév. 2013.

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Autre livre à signaler :

— Tom Regan, Les Droits des animaux, Éditions Hermann, 2013.