L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Ockham’s Razors.
A User’s Manual,
de Elliott Sober,
Cambridge University Press, 2015.

L’explication la plus simple est-elle la meilleure ? C’est ce que pensent de nombreux scientifiques. Plus précisément, selon eux, une bonne théorie scientifique ne peut se contenter de rendre compte des phénomènes, elle doit aussi contenir le plus petit nombre possible de paramètres et d’hypothèses. Il ne faut donc pas ajouter de nouveaux éléments à une théorie quand ceux sur lesquels elle est construite suffisent déjà. De même, face à deux théories qui rendent compte de manière équivalente des observations, il faut rejeter la plus complexe. Cette recherche des théories les plus simples revient à appliquer le principe de parcimonie, dit du rasoir d’Occam, en référence au philosophe franciscain Guillaume d’Occam qui en a formulé une version au xive siècle. Elle serait d’ailleurs au fondement de la démarche scientifique. Le problème est qu’il n’est pas évident de savoir pourquoi la théorie la plus simple serait la meilleure. Bien sûr, une théorie simple peut être plus élégante et plus facile à comprendre qu’une théorie compliquée. Ce sont les vertus de la simplicité. Mais en quoi la parcimonie des hypothèses et paramètres d’une théorie ferait que cette dernière décrirait mieux le monde tel qu’il est ? A priori, il n’y a aucune raison que la nature soit la plus simple possible. C’est pour éclaircir cette problématique que le philosophe des sciences Elliott Sober a entrepris d’analyser en détails dans ce livre les justifications du recours au rasoir d’Occam.

D’aucuns peuvent avancer que Dieu a créé l’univers le plus simple possible. Cette justification du principe de parcimonie a régulièrement été mise en avant dans le passé. Par exemple, on la retrouve chez Isaac Newton. Mais les interprétations théologiques sont maintenant moins en vogue chez les philosophes et les scientifiques. De nos jours, selon Sober, il y aurait trois grandes façons de justifier le rasoir d’Occam. La première est que parfois l’explication parcimonieuse a davantage de chance d’être vraie. Par exemple, si les symptômes d’un malade peuvent s’expliquer en faisant l’hypothèse qu’il est atteint d’une maladie soit courante soit rare, il est préférable de choisir le premier diagnostic. Il n’est pas nécessairement juste. Mais il a plus de chance de l’être. La deuxième justification est que l’explication parcimonieuse peut être mieux fondée empiriquement. Si une théorie expliquant que tel phénomène cause tel autre phénomène est bien étayée empiriquement, il n’y a ainsi pas à prendre en compte d’autre cause sans indices observationnels supplémentaires. Par exemple, si un homme est découvert sans vie après être tombé dans un précipice, l’hypothèse la plus simple est que la cause de sa mort est la chute et non pas un empoisonnement. Enfin, la troisième justification du rasoir d’Occam est que la théorie la plus simple peut posséder un meilleur pouvoir prédictif. Reposant sur moins de paramètres, les prédictions sont en effet plus contraintes. En somme, l’intérêt des théories les plus simples est qu’elles peuvent avoir plus de chance d’être vraies, peuvent être mieux étayées empiriquement et peuvent avoir une meilleure capacité prédictive.

Tout n’est pas pour autant réglé. Passant en revue de multiples théories scientifiques, Sober montre que la situation est parfois plus complexe. Par exemple, une théorie plus simple que les autres peut déjouer les pronostics et se révéler fausse. Il semblerait donc qu’il faille avoir une utilisation parcimonieuse du rasoir d’Occam !

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 283, juillet 2016.


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Autres livres à signaler :

— L. A. Paul and Ned Hall, Causation. A User’s Guide, Oxford University Press, 2013.

— John Brockman (ed), This Explains Everything. Deep, Beautiful, and Elegant Theories of How the World Works, Harper Perennial, 2016.