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Compte rendu du livre :

La Philosophie des actes de langage.

La doublure mentale et l'ordinaire des langues,

de Michael Soubbotnik,

PUF (Sciences, modernités, philosophies), 2001.

      La philosophie du langage, au sens moderne du terme, est née avec Gottlob Frege et Bertrand Russell à la fin du XIXe et au début du XXe siècles. Partant de l'idée que le langage ordinaire était le lieu de l'équivocité, de l'erreur et du non-sens dont il fallait que l'activité philosophique s'affranchisse, ces philosophes-logiciens tentèrent d'élaborer une langue artificielle plus appropriée aux raisonnements logiques. À partir des années 1940 environ, on vit toutefois émerger un courant qui prônait une analyse non pas formelle mais descriptive du langage ordinaire afin d'en clarifier le sens. L'idée était de mettre un frein à la recherche de théories générales sur le langage, et de commencer à effectuer un long et patient travail descriptif des façons de parler dans toute leur diversité.
      Il est important de savoir que ce changement d'orientation avait une incidence au-delà de la philosophie du langage au sens strict, puisque, par exemple, il déboucha sur une dépsychologisation des questions philosophiques, au sens où étaient discréditées les tentatives faites en vue d'édifier une théorie qui renverrait notre compétence linguistique aux propriétés d'un arrière-monde mental. C'était en quelque sorte le choix de la description et de la clarification contre le risque de la confusion.
      Ludwig Wittgenstein et surtout John Austin furent les figures marquantes de cette philosophie du langage ordinaire qui soulignait que les phrases n'étaient pas nécessairement vraies, fausses ou dénuées de sens, mais qu'elles pouvaient aussi, par exemple, faire des choses (à l'instar du maire qui marie deux personnes quand il dit « je vous marie »). Et, à la suite de ces deux philosophes, on cite souvent le philosophe américain John Searle.
      Toutefois, comme le montre Michael Soubbotnik, dans ce livre qui s'adresse à des lecteurs avisés et qui est une critique de bout en bout de Searle, ce dernier n'aurait pas simplement opéré un réaménagement technique des analyses d'Austin, mais en aurait renié tous les principes de base. À preuve, sa volonté de formuler une théorie générale de la signification et sa recherche, à travers les actes de langage, d'une théorie des états mentaux. Autant d'orientations qui ne feraient qu'ajouter, selon Soubbotnik, à la confusion de laquelle Austin nous invitait à sortir…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 122, décembre 2001.

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