L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
steinberger-the-problem-with-god
Compte rendu du livre :
 
The Problem With God.
Why atheists, true believers,
and even agnostics must all be wrong
,
de Peter J. Steinberger,
Columbia University Press, 2013.

En ce qui concerne Dieu, la première question à se poser n’est pas de savoir s’il faut ou non y croire. La priorité est de déterminer ce que représente ce mot. Or, pour Peter Steinberger, Dieu est une notion impossible à penser, un peu comme l’est celle de cercle carré. Il ne représenterait pas un vrai concept. Même s’il est possible d’en parler, on ne dirait rien en l’évoquant. Ce philosophe renvoie donc dos à dos les croyants, athées et agnostiques qui prennent position vis-à-vis de ce qui serait une « impossibilité conceptuelle ». Si Dieu est un mot vide de sens, il serait en effet tout aussi aberrant d’y croire que de ne pas y croire ou d’hésiter à y croire. Son existence n’aurait pas à être l’objet de débats. Sinon, ce serait un peu comme s’interroger sur l’existence de « bxgzgktl » (mot inventé). Il est bien sûr légitime de se demander si un être hypothétique, comme le Père Noël, existe. Mais c’est uniquement parce que cet être est envisageable d’un point de vue conceptuel. Dans son cas, pour récuser son existence, on pourrait mettre en avant, par exemple, l’improbabilité qu’il puisse descendre dans toutes les cheminées en une seule nuit. À propos de Dieu, ce type d’interrogation tournerait à vide.

L’argument fondamental de Steinberger repose sur le constat que nous vivons dans un monde de causes et d’effets, au sein duquel chaque événement engendre et procède d’autres événements. Il s’ensuit que le monde ou l’univers a une cause. On peut l’appeler « Première cause » ou Dieu. Le problème est que cette Première cause a, elle aussi, nécessairement une cause. De fait, rien ne peut sortir du néant, pas même un atome ou une idée. Du coup, il est à la fois nécessaire et impossible qu’une Première cause existe. Conclusion évidemment absurde. Comment Dieu pourrait-il à la fois être et ne pas être la Première cause ? Voilà pourquoi ce que l’on appelle Dieu ne peut représenter un concept. C’est un mot vide. Bien sûr, on pourrait être tenté de dire qu’il n’y a pas de Première cause, comme on peut affirmer sans trop d’hésitation que les cercles carrés sont de pures chimères. Mais ici la situation est encore plus inextricable car, dans un monde de causes et d’effets, il a bien fallu qu’il y ait eu quelque chose qui fasse que le monde existe, c’est-à-dire qu’il y a dû y avoir une Première cause. L’existence de cette dernière, à la différence du cercle carré, est donc nécessaire. En même temps, il a aussi fallu qu’il y ait quelque chose qui ait causé l’existence de cette Première cause. Bref, une Première cause est tout aussi nécessaire qu’impossible. Parler de Dieu, pour affirmer ou nier son existence, c’est donc ne rien dire.

Après avoir déroulé en détail ce raisonnement, Steinberger envisage les objections qui pourraient lui être adressées. Dieu ne pourrait-il pas être l’exception qui confirme la règle en étant une cause qui n’a pas besoin de cause ? Ne pourrait-il pas être au-delà du monde ou être une entité spirituelle ? Ne pourrait-il pas être un mystère au-delà de nos capacités de compréhension ? La foi ne transcenderait-elle pas ces problèmes conceptuels ? Et ainsi de suite. À chaque fois, Steinberger montre que ce qui est mis derrière le mot Dieu est une contradiction, impossible à penser. Pourtant, comme il le reconnaît, le fait que le monde existe appelle une explication. Oui, mais comme tout discours sur le sujet sera vide, autant se taire…

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 281, mai 2016.


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Autres livres à signaler :

— Todd May, A Significant Life. Human Meaning in a Silent Universe, University of Chicago Press, 2015.

— James A. Lindsay, Everybody Is Wrong About God, Pitchstone Publishing, 2015.

— Philip Kitcher, Life After Faith. The Case for Secular Humanism, Yale University Press, 2014.