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Compte rendu du livre :

The Body Economic.
Why Austerity Kills,

de David Stuckler et Sanjay Basu,

Basic Books, 2013.
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      L’austérité est une politique économique à la mode. Pour faire comprendre le soi-disant bon sens de cette politique, ses promoteurs recourent souvent à l’analogie du budget familial : si une famille dépense plus qu’elle ne gagne, au bout d’un moment elle est bien obligée de diminuer ses dépenses. Transposé à l’échelle d’un pays, cela voudrait dire que la réduction de la dette passe obligatoirement par des coupes budgétaires, plus ou moins sévères. L’argument fait souvent mouche, si on en juge par le fait que cette politique d’austérité est globalement bien soutenue par les populations, même si ces dernières en appréhendent les effets. Il ne reste donc plus aux politiciens favorables à cette option qu’à se présenter comme des individus ayant le courage de prendre des décisions difficiles mais nécessaires.
      Pour David Stuckler et Sanjay Basu, cette approche est fallacieuse. À partir d’une multitude d’exemples, allant de la Grande dépression des années 1930 aux États-Unis au crash asiatique dans les années 1990, en passant par le sort contrasté de la Grèce et de l’Islande dans la crise actuelle, ils soulignent l’utilité de l’investissement public pour limiter et écourter les effets d’une récession. Ces contre-arguments ne sont pas nouveaux. Mais là où ces deux spécialistes de santé publique innovent, c’est quand ils se mettent à étudier l’impact des politiques d’austérité sur les taux de suicide, de dépression, de propagation des maladies, de mortalité infantile, etc. Leur conclusion est alors sans ambiguïté : les politiques d’austérité ont des effets très néfastes en matière de santé. En ce sens, l’austérité tue !
      Prenons l’exemple de la Grèce. Le budget du ministère de la santé a été réduit de 40 % depuis 2008. Du coup, 35 000 docteurs, infirmières et autres professionnels de la santé ont perdu leur travail ; de même, les efforts de prévention des maladies ont été drastiquement revus à la baisse. Résultat : les admissions dans les hôpitaux ont considérablement augmenté, la mortalité infantile a crû de 40 %, les infections au VIH ont doublé, etc. La dégradation de la santé de la population et l’augmentation de la mortalité durant une récession ne peuvent donc être attribuées uniquement à la crise. Certes, pour prendre un exemple concret, il est établi que les personnes qui perdent leur emploi courent plus de risques de mettre fin à leurs jours que celles qui le conservent. Mais les deux auteurs montrent aussi que les pays qui, en temps de crise, réduisent fortement leur système de protection sociale voient leur taux de suicidés augmenter bien davantage que celui de ceux qui n’opèrent pas de réductions massives. Les dépenses publiques sauvent donc des vies. Ce qui conduit les deux chercheurs à souligner l’ironie des politiques d’austérité : déjà déplorables pour ceux qui en sont les victimes, elles nuiraient à la reprise économique du pays (dans la mesure où une population en moins bonne santé ne peut renflouer les caisses de l’État) et coûtent cher (au sens où, au bout du compte, l’État dépenserait plus d’argent à essayer de guérir les nouveaux malades qu’il n’en aurait dépensé à prévenir les maladies).
      On pourra toujours discuter les analyses économiques des deux auteurs de ce livre, tant il est bien connu que les économistes sont rarement d’accord entre eux. Mais on ne peut que saluer ce travail qui montre qu’une politique ne s’évalue pas uniquement en termes d’indicateurs économiques. Elle doit également être appréhendée à travers ses effets concrets sur la santé et l’espérance de vie des citoyens.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 259, mai 2014.

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Autre livre à signaler :

Mark Blyth, Austerity. The History of a Dangerous Idea, Oxford University Press, 2013.