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Compte rendu du livre :

Trous noirs.
La guerre des savants,

de Leonard Susskind,

Traduit de l'anglais (américain) par Jules Bambaggi,
Robert Laffont, 2010.

      Cela fait des décennies que les physiciens essayent en vain d'unifier la mécanique quantique et la relativité générale. Pendant longtemps, elles ont toutes deux très bien marché dans leur domaine d'application. Mais, voilà qu'en 1976, Stephen Hawking, grand spécialiste de la relativité générale et future « star » de la physique, révéla un conflit potentiel entre ces deux théories. La pierre d'achoppement : les trous noirs. Hawking avait commencé par montrer que ces astres, si compacts que rien, pas même la lumière, ne peut s'en échapper, sont tout sauf éternels : comme le ferait une mare d'eau au soleil, ils s'évaporent. Jusque là, pas de problème. Mais si un trou noir s'évapore, que devient l'information relative aux objets qu'il engloutit ? Selon la mécanique quantique, l'information d'un système physique ne peut être perdue. La théorie est catégorique sur ce point. Si une mare d'eau s'évapore, il est en principe possible de reconstruire ses caractéristiques en analysant celles des molécules s'étant échappées. Pourtant Hawking affirma, arguments apparemment imparables à l'appui, que l'information absorbée par un trou noir n'est jamais restituée lors de son évaporation. L'univers perdrait donc de l'information !
      Le physicien Leonard Susskind, l'un des pères de la théorie des cordes, fut l'un des premiers à être sincèrement perturbé par ce conflit entre mécanique quantique et relativité générale qu'il découvrait en 1983. Il ne savait pas pourquoi, mais avait l'intuition que Hawking se trompait. Restait à trouver l'erreur de raisonnement. Pendant plus de vingt ans, il batailla avec les arguments d'Hawking. C'est cette « querelle » qu'il raconte dans ce livre, en offrant sa vision des choses, et en la confrontant à celle des autres protagonistes de l'histoire. Outre son intérêt historique, puisqu'il permet de suivre l'évolution d'une controverse scientifique récente, cet ouvrage de vulgarisation scientifique se signale pour ses qualités didactiques (même si, sans entrer dans les équations, la compréhension qu'on peut avoir de théories et concepts très complexes est toute relative).
      Quitte à tuer le suspense, disons tout de suite que Hawking a perdu cette bataille, du moins il a reconnu sa défaite. Au début des années 2000, Susskind a montré avec des collègues que la mécanique quantique n'était pas forcément contredite. Il ressort toutefois que cette victoire, en dépit du triomphalisme de Susskind, reste problématique. Les raisonnements victorieux ne sont en effet valables que pour des cas particuliers et se fondent sur des idées très spéculatives (théorie des cordes, principe holographique, etc.). Mais n'est-ce pas ainsi qu'avance bien souvent la physique théorique de nos jours ?

Thomas Lepeltier, Pour la science, 396, octobre 2010.

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