Compte rendu du livre :
Conscience nationale et sentiment religieux en France au XVIe siècle.
Essai sur la vision gallicane du monde,d'Alain Tallon,
PUF (Le nœud gordien), 2002.Depuis quand existe-t-il en France une conscience nationale ? Les historiens se sont beaucoup disputés à ce sujet. Disons, pour faire simple, que pour certains une telle conscience existait dès la fin du Moyen Âge, alors que pour d'autres elle n'apparut qu'à l'approche de la Révolution française. Par exemple, Anne-Marie Thiesse, dans La Création des identités nationales (Seuil, 1999), se situait résolument dans le camp de ces derniers. Elle rappelait ainsi que les identités nationales (folklore, coutumes, etc.) étaient des constructions artificielles, élaborées au plus tôt à la fin du XVIIIe siècle. Mais il est facile de trouver de nombreux exemples attestant l'émergence bien antérieure à ce siècle d'une conscience nationale en France. Le débat pourrait donc être sans issue, à moins d'admettre qu'un sentiment d'appartenance à une communauté nationale — sentiment qui a bien sûr évolué — a pu précéder l'élaboration volontaire d'une identité nationale.
L'intérêt du livre d'Alain Tallon — même si l'auteur a peut-être tort de mépriser la thèse des « modernistes » — est justement de montrer que cette conscience nationale était à la fois très présente dès le XVIe siècle et inextricablement liée au sentiment religieux. Une vision mythique des premiers temps du royaume faisait en effet de la France un pays christianisé dès l'époque des apôtres, jamais souillé par l'hérésie, et dont l'Église devait être un guide de toute la chrétienté. Cette idée d'un royaume qui aurait été en quelque sorte la nation chrétienne par excellence avait encouragé une tradition d'indépendance de son Église. Or, ce gallicanisme est, selon Alain Tallon, un des éléments essentiels de la conscience nationale française de l'époque. Il allait générer l'opposition non seulement à la Réforme, mais aussi aux tentatives de l'État royal pour incarner seul l'idée nationale. Même si les Français soulignaient nombre de défauts de la papauté, la fidélité à Rome avait de fait l'avantage de garantir la continuité mythique de l'histoire nationale. Par son refus de voir l'État contrôler complètement l'Église, comme dans l'Angleterre protestante ou l'Espagne catholique, ce gallicanisme alimentait une conscience nationale qui ne s'identifiait pas exclusivement à la monarchie, et qui prétendait déjà que le particularisme français avait valeur d'universel…Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 132, novembre 2002.
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