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Compte rendu du livre :

The Artificial Ape.
How Technology Changed the
Course of Human Evolution
,

de Timothy Taylor,

Palgrave (Macmillan), 2010.

      On pensait que le gros cerveau de l'être humain avait inventé l'outil. Mais c'est peut-être l'outil qui a inventé l'être humain… C'est du moins la thèse originale que développe dans ce livre le préhistorien Timothy Taylor. Pour inverser le scénario classique de l'hominisation, il s'appuie sur une série d'arguments. D'abord, il constate que les premières pierres taillées précèdent les premiers spécimens fossiles du genre Homo. Ensuite, il rappelle que, pour des raisons biomécaniques, la sélection naturelle aurait dû favoriser la persistance d'un petit crâne chez l'hominidé bipède. Marcher debout implique un bassin plus étroit (ce qui limite la taille de la tête des bébés) et un système digestif plus court (ce qui rend plus difficile d'alimenter un gros cerveau, grand consommateur d'énergie). Comment donc expliquer le développement exceptionnel du cerveau humain ?
      Selon Taylor, l'un des moteurs de l'évolution est le bandeau porte-bébé (baby sling). Explication. Quand les femelles d'un groupe d'hominidés ont commencé à marcher debout, elles ont été confrontées à un difficile problème : porter leur bébé. Ce dernier ne pouvait plus s'accrocher sur leur dos, comme le font les petits chimpanzés. Le porter dans leurs bras aurait considérablement réduit leurs possibilités d'action. Comment se sont-elles débrouillées ? C'est là qu'intervient le porte-bébé, fabriqué à partir de tissus animaux, peau ou viscères. Grâce à cet accessoire, les enfants ont pu être transportés tout en jouissant d'une croissance lente. Leur cerveau a pu se développer tranquillement en dehors de la matrice. C'est ainsi qu'une simple invention technique aurait permis de résoudre le paradoxe du bipède au gros cerveau.
      Bien sûr, ce type d'aubaine technologique, qui précède l'avènement du genre Homo sapiens, n'a pas eu que des conséquences sur le cerveau. Il a entraîné d'autres transformations anatomiques, notamment la perte des ongles tranchants, de la forte musculature de la mâchoire, de la forte pilosité, etc. Ces modifications ont fait de nous le plus faible des grands singes d'un point de vue biologique. Comment expliquer qu'une espèce si chétive ait si bien survécu et proliféré ? Tout simplement en admettant que nous sommes des êtres artificiels qui doivent leur capacité d'adaptation à la technologie.
      Il y a incontestablement une bonne dose de spéculation dans la thèse de Taylor. Mais, au-delà des débats spécialisés qu'elle pourrait susciter, elle a le mérite de nous inciter à concevoir une évolution humaine qui échappe un peu au carcan des causes biologiques. Qui plus est, elle fait réfléchir à la façon dont la technologie continue de nous façonner. Par exemple, Taylor note que la taille du cerveau humain a légèrement diminué depuis 30 000 ans. S'il en est ainsi, c'est peut-être qu'Homo sapiens est parvenu à sous-traiter son intelligence et sa mémoire. L'être humain moderne, pour survivre, n'aurait plus besoin de stocker autant d'informations que devait le faire un Néandertalien illettré. L'être humain a d'abord eu recours à des symboles, puis à l'écriture, et de nos jours à l'ordinateur. La technologie, après avoir permis le développement d'un gros cerveau, l'aurait rendu un peu superflu, du moins jusqu'à un certain point. Bref, dans l'avenir, nous risquons d'être moins intelligents sur un plan strictement biologique…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 225, avril 2011.

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