L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Inglorious Empire.
What the British Did to India,
de Shashi Tharoor,
Hurst & Co, 2017.

De nos jours, peu de personnes défendent encore le principe de la colonisation. Mais beaucoup conservent l’idée qu’elle a quand même permis aux pays colonisés de se moderniser. Pour le diplomate et homme politique indien Shashi Tharoor, rien n’est plus faux, du moins en ce qui concerne la colonisation britannique de l’Inde. Dans ce livre bien informé sur le plan historique, il montre ainsi que, loin d’y apporter les lumières de la civilisation, le Royaume-Uni a pillé, saccagé et désorganisé l’Inde de fond en comble. La liste des méfaits britanniques est longue : impôts sans commune mesure avec les revenus, règles protectionnistes ruineuses pour le secteur manufacturier indien, démantèlement des institutions politiques locales, mises sous tutelle des responsables indiens, justice au service des intérêts financiers britanniques, etc. D’ailleurs, selon l’auteur, le pillage de l’Inde fut tel que la « révolution industrielle britannique s’est construite en détruisant la prospère industrie manufacturière indienne ».

Les comparaisons jettent d’ailleurs une lumière crue sur l’avidité du Royaume-Uni. Quand la Compagnie des Indes s’établit en 1600 sur les côtes indiennes, le Royaume-Uni représente moins de 2 % du produit mondial brut ; l’Inde en représentent 23 %, ce qui en fait l’un des pays les plus développés de l’époque. Après trois siècles de domination, l’Inde est devenue l’un des pays les plus pauvres et sous-développés du monde. Au moment de l’Indépendance, en 1947, elle ne représente plus que 3 % du produit mondial brut, alors que le Royaume-Uni compte désormais pour 10 %. En somme, le Royaume-Uni s’est littéralement enrichi sur le dos de l’Inde qu’il a fini par laisser exsangue. De ce fait, quand bien même l’Empire britannique aurait apporté à l’Inde la démocratie, l’État de droit et le chemin de fer, il serait déjà maladroit de s’en féliciter. Cela devient même indécent au regard des dizaines de millions de morts des famines provoquées par cette spoliation des ressources du pays. Si, comme tente aussi de le montrer l’auteur, ces « bienfaits » seraient advenus sans la colonisation, il n’y a de toute façon plus aucune raison de continuer à louer les mérites de l’Empire.

L’auteur rappelle également à quel point la politique britannique a consisté à diviser l’Inde pour mieux régner en maître. Notamment, il décrie l’obsession britannique des classifications rigides qui renforcèrent des distinctions, relativement souples sur le plan social avant leur arrivée, entre hindouistes et musulmans, entre sunnites et chiites, et même entre les castes. Or cette politique suscita un antagonisme croissant entre ces populations indiennes qui culmina dans un accès de violence lors de la partition de l’Inde et du Pakistan au moment de l’Indépendance. Là encore, la colonisation porte une responsabilité directe dans ces tensions qui perdurent jusqu’à nos jours.

Cette attaque en règle de l’Empire britannique ne procède pas, selon l’auteur, d’une volonté de mettre tous les problèmes actuels de l’Inde sur le dos de la colonisation. Il reconnaît que, depuis l’Indépendance, le pays a souvent été mal gouverné et que beaucoup d’erreurs de gestion ont été commises. Mais, par cette critique, il entend dénoncer une certaine nostalgie pour l’Empire chez de nombreux Britanniques. On pourra probablement lui reprocher de forcer le trait ici ou là. Mais c’est un moindre mal au regard du message solidement étayé qu’elle réussit à faire passer…

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 296, octobre 2017.


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Autre livre à signaler :

— Jon Wilson, India Conquered. Britain’s Raj and the Chaos of Empire, Simon & Schuster, 2016, University Of Chicago Press, 2016.