L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
La science asservie.
Santé publique : Les collusions mortifères
entre industriels et chercheurs
,
d’Annie Thébaud-Mony,
La Découverte, 2014.

L’usage du plomb, de l’amiante, du nucléaire et de nombreux produits chimiques a débouché sur des scandales sanitaires à la fin du xxe siècle. Leurs effets nocifs sur la santé humaine avaient été signalés depuis longtemps. Mais les pouvoirs publics ont traîné des pieds avant de prendre des mesures pour limiter leur usage, ou pour les interdire, comme c’est le cas de l’amiante et du plomb dans l’essence. Pourquoi un tel retard ? Pourquoi ne pas avoir pris plus tôt des mesures contre ces produits responsables de milliers de morts ? Pour la sociologue Annie Thébaud-Mony, la cause principale est la collusion entre une partie du monde scientifique et l’industrie. Alors que des alertes avaient été lancées contre ces produits, certains scientifiques ont en effet systématiquement minimisés, voire niés, leurs effets délétères. Les pouvoirs publics et les industriels ont alors pu mettre en avant cette « caution scientifique » pour ne rien faire et se dédouaner de toute responsabilité auprès des victimes.

Pour dresser ce réquisitoire, l’auteure retrace l’histoire des débats autour de la dangerosité de ces produits. Elle montre comment la « culture du doute », fondamentale à l’activité scientifique, a pu y être dévoyée pour être mise au service d’industriels peu scrupuleux. En relatant son engagement personnel auprès des victimes, l’auteure lance également une réflexion épistémologique sur l’insuffisance de l’approche épidémiologique en santé publique. Tant que la santé des citoyens ne sera appréhendée qu’en termes de statistiques, obtenues à partir de bases de données plus ou moins fiables, les dangers sanitaires ne seront que des chiffres discutables à côté de ceux de la finance. Aussi l’auteure appelle-t-elle de ses vœux une « science citoyenne », où la parole des victimes serait davantage prise en compte. Pour la même raison, elle prône le remplacement de l’actuel « culture de l’indemnisation » des victimes par une « culture de la prévention » des risques. Bref, l’auteure tente de nous montrer que la santé est un sujet éminemment politique.


Thomas Lepeltier (2015).


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