L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Une défense de l’avortement,
de Judith Jarvis Thomson,
Petite Biblio Payot, 2023 [1971].

Le droit à l’avortement fait globalement consensus dans la société française. Mais que penser de ses justifications ? À propos de cette question, la philosophe Judith Jarvis Thomson écrivit en 1971 un article qui fait référence depuis lors. Elle y développait notamment l’expérience de pensée suivante. Imaginez que, un matin, vous vous réveillez dans un lit, relié par des tuyaux à un individu inconscient. Vous êtes alors informé que cet individu est un célèbre violoniste souffrant d’une maladie des reins mortelle. Sa seule chance de survivre est d’être raccordé au système sanguin d’une personne saine ayant les bonnes caractéristiques physiologiques. Or vous êtes cette personne. Une association de mélomanes vous a donc kidnappé, placé dans la même chambre que le violoniste et effectué l’opération de connexion. Vous avez la possibilité de débrancher les tuyaux mais, dans ce cas, le violoniste mourra. En revanche, si vous acceptez de rester connecté neuf mois, il sera guéri et l’on pourra vous déconnecter sans le mettre en danger. Que décidez-vous ?

Thomson avançait que, si on se retrouvait dans cette situation, nous n’aurions pas le devoir moral de rester connecté. Il serait généreux de le faire, mais il n’y aurait pas de mal à refuser. La philosophe y voyait une justification de l’avortement. Mais l’analogie n’a pas convaincu tout le monde, même chez les défenseurs de l’avortement. Par exemple, dans son ouvrage Questions d’éthique pratique (1979), le philosophe Peter Singer avançait que, bien qu’il serait scandaleux d’être ainsi kidnappé, les conséquences d’une déconnexion seraient pires que celles d’un alitement prolongé. Il en déduisait qu’il est moralement problématique de refuser de maintenir une personne en vie en restant alité pendant neuf mois, si c’est sa seule façon de survivre. Si on considère que la vie d’un fœtus a autant de valeur que celle de tout autre humain, une femme devrait donc le porter jusqu’à ce qu’il puisse vivre en dehors de son utérus. Dès lors, pour défendre l’avortement, Singer soutenait qu’il valait mieux revoir à la baisse le statut des fœtus. Vu la richesse de ce débat, on ne peut que se féliciter de voir ce texte de Thomson traduit en français et publié ici sous forme de livre.

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 359, juin 2023.


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